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PORT-ROYAL

mais, au même moment, s’entend d’en haut une voix mystique qui prélude :

Poursuis, Genest, ton personnage,
Tu n’imiteras point en vain…

Genest s’étonne, s’écrie ; mais le décorateur rentre et l’interrompt. Genest lui dit magnifiquement :

Allons, tu m'as distrait d’un rôle glorieux
Que je représentais devant la Cour des Cieux.

Les empereurs arrivent et la pièce commence.

Dans cette première atteinte et cette illumination ds Genest, dans cette voix du Ciel qui parle distinctement et qu’entend le spectateur, l’œuvre de Grâce est un peu crûment traduite et comme passée à l’état d’appareil dramatique : la machine se voit trop. Pourtant l’effet est produit ; et il était essentiel que cette voix ou quelque chose de tel donnât signal et avertît le spectateur, pour que son intérêt fût bien éveillé dès l’abord dans ce sens de la conversion : car tout le mobile de ce qui va se représenter est là.

Chemin faisant et pendant que Genest sous le personnage d’Adrien débute par une tirade en fort beaux vers pour s’exhorter au martyre, je tirerai une remarque sur la qualité poétique du style de Rotrou. On y a pu trouver dès l’abord une verve toute cornélienne :

Chanter les condamnés et trembler les bourreaux…

On y trouve même l’image à un degré de plus que chez Corneille, qui est volontiers plus abstrait. Rotrou est plein de ces vers qui peignent :

J’ai vu tendre aux enfants une gorge assurée
À la sanglante mort qu’ils voyaient préparée.
Et tomber sous le coup d’un trépas glorieux
Ces fruits à peine éclos, déjà mûrs pour les Cieux.