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PORT-ROYAL

Pousser des chants aux deux dans des taureaux d’airain…
La mort pour la trop voir, ne leur est plus sauvage ;
Pour trop agir contre eux, le feu perd son usage ;
En ces horreurs enfin le cœur manque aux bourreaux,
Aux juges la constance, aux mourants les travaux.

Le plus riche et le plus copieux échantillon du genre me semble être ce vers de Racan :

La javelle à plein poing tomber sous la faucille.

Grâce au goût extrême pour le coulant qui a prévalu et à la petite bouche mondaine, de tels vers se comptent dans notre poésie[1]

Mais Adrien a terminé le monologue par lequel il s’exhorte au martyre. Flavie, un homme du palais, son ami, survient tout effaré, lui demande s’il est vrai qu’il soit chrétien, lui raconte que l'on a donné cette nouvelle devant César, devant Maximin, qui est soudain devenu furieux : burlesque description de cette fureur. Flavie veut détourner Adrien, qui lui répond en s’exaltant comme Polyeucte ; et plus Genest arrive à ne faire qu’un avec son rôle[2], plus il se surpasse comme comédien :

Allez, ni Maximin courtois ou furieux,
Ni ce foudre qu’on peint en la main de vos Dieux,

  1. En voici un de Malherbe :

    Et couchés sur les fleurs comme étoiles semées.

    Maynard n’en a fait qu’un, je crois, dans ce goût, mais très beau :

    Et l’univers qui, dans son large tour,
    Voit courir tant de mers et fleurir tant de terres,
    Sans savoir où tomber tombera quelque jour !

  2. Si l’on osait à ce propos revenir à la question du commencement de ce chapitre : Vaut-il mieux pour l’acteur être entraîné par son rôle que le dominer ? je répondrais, par l’exemple de Genest même, qu’il est plus sublime sans doute à mesure qu’il entre plus avant dans son personnage, mais ce jusqu’à un certain degré,