Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
PORT-ROYAL

Ducis pourtant, en sa place, n’aurait point manqué cette fin-là.

Nous ne suivrons pas Rotrou au delà du Saint Genest, qui, par Polyeucte, tenait à notre comparaison ; le reste serait d’une distraction trop grande. D’autres pièces de lui mériteraient d’être tirées de l’oubli littéraire où elles sommeillent ; du moins elles auraient mérité de n’y pas tomber. Une année après Saint Genest, en 1647, il donna la tragi-comédie de Don Bernard de Cabrère, imitée sans doute du théâtre espagnol[1], et dans laquelle il peint le don du contre-temps, de la mauvaise fortune ou du guignon comme on dirait, avec fantaisie et verve, en homme très plein de son sujet, c’est-à-dire assez peu favorisé des étoiles. C’est un pendant tout piquant et tout romantique au ressort tragique du fatum des Anciens. M. Guillaume de Schlegel a dû aimer beaucoup cette pièce, s’il l’a connue.

Une autre pièce de Rotrou, la plus célèbre, je n’ose dire la plus lue, celle qui, selon le mot, est restée au théâtre, c’est-à-dire qu’on n’y va voir jamais, Venceslas offre de franches et dramatiques beautés. Elle fut retouchée au dix-huitième siècle par Marmontel, qui en ôta quelques mauvais vers, quelques expressions trop vieilles, et en substitua de plus pâles : un peu de pavot sur ce qui était trop cru. Le Kain, à la première représentation de cette reprise du Venceslas corrigé, Le Kain (presque comme saint Genest), emporté par l’enthousiasme aussi, par la religion du bel art, reprit subitement le vieux texte et fit manquer la réplique : Marmontel ne le lui pardonna jamais.

Rotrou passe pour n’avoir pas été heureux. Il pratiquait, à ce qu’il paraît, dans sa vie, le train assez aveugle et hasardé de ses pièces ; on raconte qu’il allait être mis

  1. Elle est empruntée à Lope de Véga.