voir. » Et là-dessus elle écrivit à ses sœurs, leur demandant si elles auraient bien le courage de faire part de leur pauvreté à ces trente filles : les sœurs répondirent par une lettre signée de toutes, agréant cette offre avec joie et comme une bénédiction. Elle envoya la lettre au Général de l’Ordre, qui consentit. Elle écrivit de plus à sa mère, madame Arnauld, la suppliant d’envoyer, si le cœur le lui disait, des carrosses pour transporter ces filles à Port-Royal : ce qui ne manqua pas. Madame Arnauld se trouva au jour marqué avec le nombre de carrosses nécessaire et autant de femmes pour faire la conduite. Comme, en quittant Maubuisson, la mère Angélique avait à passer par Paris et à y rester un peu, elle dut envoyer devant elle et sans elle le troupeau ; mais la mère Angélique de Saint-Jean va bien mieux continuer que nous le naïf récit :
« Par sa prévoyance ordinaire, craignant que leur abord ne fût un sujet de dissipation dans Port-Royal pour ces filles mêmes, par la joie de leur arrivée et le remuement qu’il faudroit faire pour les loger, elle y donna ordre en leur imposant silence, jusqu’à ce qu’elle fût arrivée elle-même. Elle leur ordonna pour cet effet qu’aussitôt qu’elles apercevroient de dessus la montagne le haut du clocher, dont il faut se baisser pour voir la pointe, quoiqu’il soit très-haut, tant la situation de la maison est basse et dans une vallée étroite, elles diroient toutes ensemble ce verset : Pone Domine custodiam ori meo et ostium circumstantiae labiis meis (Mettez, Seigneur, une sentinelle à ma bouche et une garde à la porte de mes lèvres[1]) ; et que, dès ce moment, la porte de leurs lèvres demeureroit fermée jusqu’à ce qu’elle-même la vînt rouvrir. Comme il falloit néanmoins qu’on les pût connoître dans Port-Royal, elle leur fit mettre à toutes un billet sur leur manche où étoit écrit leur nom. Elles observèrent ponctuellement ses ordres, et arrivèrent à Port-Royal le 3 mars 1623.
- ↑ Psaume CXL, 3.