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PORT-ROYAL

renaissant, d’une dévotion molle et doucette qu’on lui reprochait dès lors, a Pour moi, je vous déclare, disait la mère Angélique à son neveu Le Maître, que jamais M. de Genève ne m’a paru mollet comme plusieurs ont cru qu’il l’étoit. » Elle insiste sur ce point, et s’attache à dénoncer sa fermeté sous sa douceur. Elle l’oppose par contraste à ceux des Jésuites qu’elle connaît et aux autres religieux ; elle le trouve plus saint que tous, plus dépouillé dé toute considération humaine :


« Je lui mis mon cœur entre les mains sans aucune réserve… Il me parla aussi avec la même franchise, et je puis vous assurer qu’il ne me cachoit rien de ses plus secrètes et importantes pensées sur l’état où étoit l’Église et sur la conduite de quelques Ordres religieux, dont il connoissoit quelques particuliers et n’approuvoit pas l’esprit général, le trouvant trop fin, trop courtisan et trop politique. »


Mais, pour aller au plus neuf et au plus original de la révélation, il me faut tailler toute une longue page entière qui n’est qu’une conversation de la mère Angélique, et dans laquelle bien d’autres noms se mêlent à celui de saint François ; l’enchaînement n’en est que plus curieux, et nulle part d’ailleurs les sentiments secrets de Port-Royal ne se prononcent plus à nu. C’est M. Le Maître qui écrit, au moment où il vient d’entretenir sa tante[1] :


« En 1653, le 26 avril, comme je lui parlois de la vie de M. de Genève, elle me dit : « Ce saint prélat m’a fort assistée, et j’ose dire qu’il m’a autant honorée de son affection et de sa confiance que madame de Chantal. J’étois étonnée de la liberté et de la bonté avec laquelle il me disoit toutes ses plus secrètes pensées, comme je lui disois et lui avois dit tout d’abord toutes les miennes. Il est certain qu’il avoit

  1. Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal, t.II p. 307 et suiv.