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PORT-ROYAL

que les vrais enfants de l’Église dévoient garder dans la vue de ces maux intérieurs et de ces plaies intestines, que saint Bernard a dit, il y a déjà cinq cents ans, être incurables ; qu’il falloit couvrir au moins la nudité de sa mère lorsqu’on voyoit qu’on ne la pouvoit guérir de ses maladies, et dire, bien plus aujourd’hui que saint Grégoire de Nazianze ne disoit de son temps : «Nous n’avons rien à donner à l’Église que nos larmes.»

«Elle me dit encore que feu M. l’évêque de Belley (M. Camus) lui dit, au retour de son voyage d’Italie, qu’ayant entretenu Frédéric Borromée, cardinal-archevêque de Milan, cousin germain de saint Charles, saint lui-même et éminent en sagesse et en science autant que saint Charles, ce cardinal lui avoit dit confidemment ces mêmes mots : «Le zèle et la douleur des désordres de Rome m’a porté jusqu’à en écrire un livre épais de trois doigts, où ils étoient presque tous représentés. Mais après avoir vu toutes les portes fermées à la réformation de ces abus, et que Dieu seul le pouvoit faire par les voies extraordinaires de sa Providence, je brûlai le livre, voyant que ces vérités morales ne feroient que causer du scandale et publier les excès de ceux qui ne veulent point changer de mœurs, et qui sont devenus plus politiques qu’ecclésiastiques.»

«Aussi, m’ajouta-t-elle, M. de Saint-Cyran m’a dit autrefois que ceux qui aimoient véritablement l’Église dévoient se cacher dans les solitudes pour ne prendre point de part aux passions de ceux qui déshonorent sa sainteté, et prier pour elle dans le secret. «C’est notre mère, me disoit-il, il la faut aimer, il la faut plaindre, il la faut aider, il la faut pleurer, et non la scandaliser et la troubler par un excès de zèle qui n’est pas assez humble ni assez sage.»

«Elle m’ajouta : «M. de Saint-Cyran étoit tellement confirme dans ce silence de gémissement, que lorsque le cardinal de Richelieu se piqua contre Rome, sur ce que le Pape l’avoit fâché, et qu’il voulut empêcher qu’on n’allât quérir des bulles à Rome, il arriva que mon frère, maintenant évêque d’Angers, fut élu évêque de Toul, canoniquement, par le Chapitre dont il étoit doyen, sans avoir agi pour cela en façon quelconque : M. de Saint-Cyran me dit que mon frère étoit le seul évêque de France qui