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LIVRE PREMIER.

oiseaux pour nous tirer quand il plaît à sa miséricorde ; ou encore :


«Ceste inclination nous est un indice et mémorial de nostre premier principe et Créateur, à l’amour duquel elle nous incite, nous donnant un secret advertissement que nous appartenons à sa divine bonté : tout de mesme que les cerfs, auxquels les grands princes font quelquefois mettre des colliers avec leurs armoiries, bien que par après ils les font lascher et mettre en liberté dans les forests, ne laissent pas d’estre recogneus par quiconque les rencontre, non seulement pour avoir une fois esté pris par le prince duquel ils portent les armes, mais aussy pour luy estre encore réservez ; car ainsi cogneut-on l’extresme vieillesse d’un cerf qui fut rencontré, comme quelques historiens disent, trois cents ans après la mort de César, parce qu’on luy trouva un collier où estoit la devise de César et ces mots : César m’a lasché.[1]»


Toutes ces images d’anse, de filet et d’oiseaux, de collier et de cerf, se suivent coup sur coup dans un même couplet, comme ferait absolument une pluie de comparaisons poétiques chez M. de Lamartine, nature qui, dans l’ordre purement sentimental et mondain, a plus d’un rapport avec celle de saint François, toute proportion gardée de l’état chrétien si ferme, si solide (là même où il a toutes ses grâces), avec l’état poétique naturel, qui est toujours errant[2].

  1. Traité de l’Amour de Dieu, liv. I, chap. XVIII.
  2. Je prie qu’on se rappelle, à l’appui direct de ma comparaison, tant de méditations si sublimes, si tendres, exhalées la plupart aux lieux mêmes où vécut saint François : Dieu, le Crucifix, le Chant d’Amour imité du Cantique des Cantiques, la Consolation qui commence ainsi :

    Quand le Dieu qui me frappe, attendri par mes larmes... ;

    cette harmonie dont le début éclate en un cri de sainte et joyeuse violence :

     Encore un hymne, ô ma Lyre,
    Encore un hymne au Seigneur !...

    Et qu’on songe que ce sont là de simples élans partis comme au hasard, et de la force même de l’âme, à travers une vie qui courait. Que ne serait-ce devenu à la longue sous la discipline, et dans une vie, comme ici, tracée ?