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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

l’unité, la voie étroite dans sa pratique la plus rigoureuse, et de plus un essai de l’usage en français des saintes Écritures et des Pères, un dessein formel de réparer et de maintenir la science, l’intelligence et la Grâce. Saint-Cyran fut une manière de Calvin au sein de l’Église catholique et de l’épiscopat gallican, un Calvin restaurant l’esprit des sacrements, un Calvin intérieur à cette Rome à laquelle il voulait continuer d’adhérer. La tentative échoua, et l’Église catholique romaine y mit obstacle, déclarant égarés ceux qui voulaient à toute force, et tout en la modifiant, lui demeurer soumis et fidèles.

Port-Royal, entre le seizième et le dix-huitième siècle, c’est-à-dire deux siècles volontiers incrédules, ne fut, à le bien prendre, qu’un retour et un redoublement de foi à la divinité de Jésus-Christ. Saint-Cyran, Jansénius et Pascal furent tout à fait clairvoyants et prévoyants sur un point : ils comprirent et voulurent redresser à temps la pente déjà ancienne et presque universelle où inclinaient les esprits. Les doctrines du Pélagianisme et surtout du semi-Pélagianisme avaient rempli insensiblement l’Église, et constituaient le fond, l’inspiration du christianisme enseigné. Ces doctrines qui, en s’appuyant de la bonté du Père et de la miséricorde infinie du Fils, tendaient toutes à placer dans la volonté et la liberté de l’homme le principe de sa justice et de son salut, leur parurent pousser à de prochaines et désastreuses conséquences. Car, pensaient-ils, si l’homme déchu est libre encore dans ce sens qu’il puisse opérer par lui-même les commencements de sa régénération et mériter quelque chose par le mouvement propre de sa bonne volonté, il n’est donc pas tout à fait déchu, toute sa nature n’est pas incurablement infectée ; la Rédemption toujours vi-