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PORT-ROYAL.

affectionné quoique indigne pasteur[1], je lui dis qu’elle offense Dieu et est obligée de s’en repentir quand même les accusations seroient véritables, car nulle sorte de paroles qui soient au désavantage du prochain ne doit être crue qu’après un examen parties ouïes. Quiconque vous parle autrement, Monseigneur, trahit votre âme…, etc., etc… »

Certes il paraît, à ce ton, que la douceur de saint François de Sales n’était pas mollesse, et qu’elle savait au besoin se dresser et s’armer en vertueuses armes.
Eh bien ! maintenant, tout ceci bien connu et remémoré, si l’on ouvre le Traité de l’Amour de Dieu, si on lit la préface qui est à la date de juin 1616, c’est-à-dire de trois mois seulement après les circonstances de cette lettre énergique, voici la louange qu’on y trouve (il s’agit de la scène de Thonon qui s’était passée dix-huit ans auparavant) :

«… Son Altesse vint deçà les monts, et trouvant les Bailliages de Chablaix, Gaillard et Ternier, qui sont ès environs de Genève, à moitié disposez de recevoir la saincte religion catholique…, elle se résolut d’en restablir l’exercice en toutes les paroisses et d’abolir celuy de l’hérésie. Et parce que, d’un costé, il y avoit de grands empeschements à ce bonheur selon les considérations que l’on appelle raisons d’Estat, et que d’ailleurs plusieurs, non encore bien instruits de la vérité, résistoient à ce tant désirable restablissement. Son Altesse surmonta la première difficulté par la fermeté invincible de son zèle à la saincte religion, et la seconde par une douceur et prudence extraordinaire : car elle fit assembler les principaux et plus opiniastres, et les harangua avec une éloquence si amiablement pressante[2], que presque tous vaincus par la douce violence de son amour paternel envers

  1. Ce terme de pasteur semblerait pourtant se mieux rapporter aux relations de l’évêque de Genève avec le duc de Nemours, qui avait le comté de Genevois pour apanage.
  2. On a vu tout à l’heure le sens exact de cet amiablement.