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PORT-ROYAL.

dit saint Bernard : nous arrivons à ceux qui brûlent, mais ne luisent pas !

Jean du Vergier ou du Verger de Hauranne, qui fut abbé de Saint-Cyran, naquit à Bayonne en 1581, d’une famille noble, disent MM. de Sainte-Marthe, ou qui seulement, au rapport des Jésuites, s’était rendue considérable par le commerce. Il témoignait dès son enfance, à ce qu’on assure, toute la vivacité de sa nation. Il nous serait difficile sans doute de découvrir en lui rien de cette légèreté, de cette pointe gasconne ou basque, dont Montesquieu, Bayle et Montaigne nous offrent d’assez beaux échantillons et assez analogues dans leur variété : il fait naturellement songer au sombre et dur saint Prosper d’Aquitaine, auquel il est du reste si supérieur. Son ardeur, pour être peu tournée en dehors, n’avait que plus de fond et d’énergie ; et puis elle se couvrait moins dans sa jeunesse, et décelait alors le naturel véhément que le temps, l’étude et les grands projets mûrirent[1]. Nicole disait de lui que c’était une terre capable de porter beaucoup, mais féconde en ronces et en épines. C’était un caillou d’Ibérie, dont l’étincelle à la fin devait sortir. Après avoir fait ses humanités dans sa patrie, il vint passer quelques mois à Paris, et y suivit la Sorbonne en compagnie de Petau, depuis jésuite si célèbre, et alors jeune étudiant comme de Hauranne[2] ; mais les

  1. On raconte (un jésuite, il est vrai) que Richelieu causant un jour de M. de Saint-Cyran avec le Père Joseph et l’abbé de Prières, et voyant qu’ils ne disaient pas toute leur pensée, rompit la glace en ces mots : « Il est Basque et a les entrailles chaudes et ardentes par tempérament : cette ardeur excessive lui envoie à la tête des vapeurs dont se forment ses imaginations mélancoliques, qu’il prend pour des réflexions spéculatives ou pour des inspirations du Saint-Esprit. » Explication à part, je crois le trait juste sur le tempérament.
  2. Ils se trouvaient logés ensemble dans la même pension bourgeoise. Lorsque plus tard les Pères questionnaient le docte jésuite