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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Royal, bien qu’il n’ait pas eu à s’expliquer formellement sur ce point, tendait évidemment à une forme plus libre, et où l’autorité pourtant s’exercerait. Les évêques, les curés, les directeurs surtout, une fois choisis, auraient formé une sorte de pouvoir moyen, à peu près indépendant de Rome, prenant conseil habituel dans la prière, et s’exerçant en supérieur vénéré sur les fidèles. On peut dire que la famille des Arnauld porta, dans le cadre de Port-Royal, beaucoup de l’esprit et du culte domestique, de cet esprit du patriciat de la haute bourgeoisie qui était propre à certaines dynasties parlementaires du seizième siècle (les Bignon, Sainte-Marthe, etc.). La religion qu’ils adoptèrent à Port-Royal, et que Saint-Cyran leur exprima, était (civilement, politiquement parlant, et sinon d’intention, du moins d’instinct et de fait) l’essai anticipé d’une sorte de tiers-état supérieur, se gouvernant lui-même dans l’Église, une religion, non plus romaine, non plus aristocratique et de cour, non plus dévotieuse à la façon du petit peuple, mais plus libre des vaines images, des cérémonies ou splendides ou petites, et plus libre aussi, au temporel, en face de l’autorité ; une religion sobre, austère, indépendante, qui eût fondé véritablement une réforme gallicane. Ce qu’on a entendu par ce mot ne portait que sur des réserves de discipline et sur une jurisprudence, une procédure sorbonnique, en quelque sorte extérieure. Le Jansénisme, lui, cherchait une base essentielle et spirituelle à ce que les Gallicans (plus prudemment sans doute) n’ont pris que par le dehors, par les maximes coutumières et par les précédents. L’illusion fut de croire qu’on pouvait continuer d’exister dans Rome en substituant un centre si différent. Richelieu et Louis XIV sentirent, le premier plus longuement et nettement