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LIVRE PREMIER.

et jour dans l’étude ; et on l’entendait quelquefois, aux rares moments de relâche où il se promenait dans son jardin, s’écrier, en levant les yeux au ciel et avec un profond soupir : Oh ! Vérité ! Oh ! Vérité !

Saint François de Sales, si on lui avait demandé quel attribut divin le touchait le plus, aurait répondu sans doute : Charité du Fils, Charité ! Humilité !

Saint-Cyran, à la même question, aurait répondu peut-être : Puissance, redoutable Puissance du Père ! Abîme ! Éternité ! — Tous les trois auraient eu raison, et, pour que rien ne leur manque, il ne s’agit que de les unir.

Cette nature de Jansénius si âpre et si rude de fibre, si obstinée au seul vrai, même au vrai dans la crudité où il ne se peut porter, avait (la même Correspondance le prouve) des attaches de cœur très vives pour Saint-Cyran. Après leur séparation de 1617, à la première lettre qu’il reçut de son ami devant le jeune neveu Barcos et d’autres témoins, il fut contraint, dit-il, d’imiter le patriarche Joseph, et de sortir ou du moins de ne pas lire en ce moment jusqu’au bout, de peur de trop lâcher la bonde à ses larmes. Après l’entrevue de 1617, à la prochaine lettre qu’il écrit, il est encore question de ses larmes au départ, et de celles que Saint-Cyran le premier avait versées. Cela fait honneur aux hommes austères, quand ils pleurent.

Les deux amis se revirent de nouveau, le 1er mai 1623, à Péronne ; Jansénius y arriva à cheval le samedi 29 avril au soir, pour entrer, dit-il, avec le mois de mai en France : cette réjouissance de printemps ne leur servit qu’à conférer plus à fond de leur dessein, dans lequel il paraît que quelque variation était survenue[1]. Ils se

  1. On ne sait pas bien de quel changement de batterie il s’agit : mais il y en eut un alors. On peut même croire que ce n’était pas d’idées seulement, mais de personnes que les deux amis avaient