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LIVRE PREMIER.

occasions de perdre la vie, le moins que nous pouvons faire est d’embrasser avec joie les occasions qu’il nous fait naître de lui témoigner l’amour et le zèle de notre charité, en l’étendant sur des âmes qui se sont vouées à lui, avec la perte de nos richesses et de nos biens. Peut-être qu’il nous excusera en son jugement de n’avoir pas cherché toutes les occasions d’employer en de bonnes œuvres ces biens qu’il nous avoit donnés, et de ne nous être pas mis en peine de faire une recherche de tous les pauvres qui languissent dans les antres et dans les bois (où ils vivent comme des bêtes, abandonnés de toute assistance), afin de les nourrir[1]; mais ce qu’il nous reprochera assurément, c’est d’avoir négligé de pourvoir aux besoins de ceux qu’il nous présente lui-même, et surtout lorsque nous voyons qu’en manquant d’assister le corps, l’âme court risque de se perdre…»

Ainsi, pour M. de Saint-Cyran, la charité envers les hommes dépend toute de l’amour et de la foi envers Dieu ; il faut aller au-devant du pauvre, du même mouvement par lequel on allait primitivement au martyre ; et s’il y a obligation de secourir le corps de l’indigent, c’est surtout en vue de l’âme. Là même encore, en ce sujet clément, l’aspect austère, l’abord escarpé, et un point de départ opposé à la tendresse naturelle.

M. de Saint-Cyran, bien qu’alors domicilié à Paris, n’y habita tout à fait régulièrement qu’après la mort de M. Le Bouthillier, évêque d’Aire, qu’il allait fréquemment assister dans le gouvernement de son diocèse. En ces années 1623-1625, il devenait de plus en plus lié avec tout ce qu’il y avait d’éminent et d’influent dans le monde ecclésiastique. Son étroit commerce avec le Père de Condren de l’Oratoire datait de Poitiers ; il possédait surtout le cœur du Père de Bérulle, premier général de cette Congrégation ; il soignait fort sa bonne grâce, et

  1. Remarquons cette forte impulsion de charité sous une expression presque sauvage.