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LIVRE PREMIER.

pas choisi au hasard, et s’ajustait au titre futur de l’ouvrage (Augustinus) que, depuis la fin de l’année 1627 et après bien des préparations, Jansénius s’était mis à rédiger. Saint Augustin s’appelant Aurelius Augustinus, les deux amis ses disciples tronçonnèrent, comme on l’a dit, le nom sacré qui était leur mot d’ordre, de même qu’autrefois les guerriers unis brisaient un glaive en se séparant ; un poète l’a très-bien dit :

Quand ils se rencontraient sur la vague ou la grève,
En souvenir vivant d’un antique départ,
Nos pères se montraient les deux moitiés d’un glaive
Dont chacun d’eux gardait la symbolique part.

    rable et savant jésuite avait été touché en passant par Aurélius comme ayant interprété, dans la collection de ses Conciles, un canon du premier Concile d’Orange sur la Confirmation, contrairement aux meilleurs manuscrits ; il s’en montra ému et envoya de sa main quelques pages d’explication en français à celui qu’il supposait sous ce nom d’Aurélius et qu’il croyait une de ses anciennes connaissances. Aurelius répondit d’abord par un billet, en français également, adressé à la personne qui lui avait remis la lettre du Père Sirmond ; le ton en est étrange, méprisant, et se sent du voisinage du latin : «Monsieur, je ne me suis pas étonné de voir l’écrit volant du Père Sirmond. Je m’étois déjà imaginé qu’il en pourroit paroitre beaucoup de semblables ; si je disputois ma cause particulière, je serois plus libre en telle rencontre.» Il ne tiendrait qu’à lui, ajoute-t-il, de chercher difficulté à ce bon Père sur bien d’autres points plus importants de ses Conciles, «lesquels si j’avois voulu proposer, je m’assure qu’il reconnoîtroit encore mieux la modestie dont j’ai usé maintenant en son endroit ; mais je ferois conscience de travailler sa vieillesse, laquelle je serois bien aise de lui laisser passer en repos ; car il semble assez sensible.» Aurelius n’en resta pas là ; il aimait peu, on le voit, les écrits volants ; une bonne grosse réfutation publique en latin suivit ; le Père Sirmond répondit par un Antirrheticus : Aurelius riposta par un Anœreticus ; le Père Sirmond encore par un Antirrheticus II ; Aurelius, une troisième et dernière fois, par l’Orthodoxus. Tout cela pour savoir si la chrismation (l’onction par l’huile) est ou n’est pas la matière essentielle du sacrement de Confirmation. De ce seul épisode de l'Aurelius on peut conclure que nous ne sommes pas tout à fait arrivés aux Provinciales.