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PORT-ROYAL.

ardent. Sans crainte de nous emparer du jeu de mots sur son nom, nous touchons véritablement aux fruits de ce verger qui nous parut si longtemps hérissé d’épines. Un Esprit de M. de Saint-Cyran serait à faire[1]; à côté de celui de saint François de Sales, ce serait un livre certainement aussi beau. Je l’ébauche ici; je ne suis pas à bout de citer. Comme cette sœur Marie-Claire, heureuse de sa condition pénitente, le priait de l’y laisser toute sa vie, il lui répondait :

«Vous voulez que je vous assure votre condition : je n’aime pas cette demande. Les âmes qui sont à Dieu ne doivent avoir ni assurance ni prévoyance ; elles doivent agir par la Foi, qui n’a ni clarté ni assurance dans la suite des bonnes œuvres ; elles regardent Dieu et le suivent à tout moment, dépendant des rencontres que sa Providence fait naître. Je ne voudrois pas savoir ce que je ferai quand je serai descendu d’ici. Nous avons obligation de ne demander notre pain à Dieu, c’est-à-dire sa Grâce, que pour chaque jour ; mais je voudrois le demander pour chaque heure. Il faut une flexibilité nonpareille et universelle à une âme chrétienne. Il faut qu’elle sache passer du repos au travail, du travail au repos, de l’oraison à l’action, de l’action à l’oraison ; n’aimant rien, ne tenant à rien, sachant tout faire, et sachant aussi ne rien faire quand la maladie ou l’obéissance l’arrête, demeurant inutile avec paix et joie. Il y a avantage en la cessation, et souvent en travaillant nous ne faisons rien devant Dieu[2]

La sœur Marie-Claire avait, je l’ai dit, une particulière et tendre révérence pour la Vierge, dont toutes les fêtes avaient été marquées pour elle par des bienfaits spirituels. Étant allée voir M. de Saint-Cyran le jour

  1. Lancelot l’a fait dans ses Mémoires, mais au point de vue janséniste: il y aurait à retrancher et à ajouter.
  2. On peut comparer avec la soixante-dix-huitième des Lettres spirituelles de Fénelon qui roule sur ce même conseil : «Ne songez point à des choses éloignées, etc., etc.