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LIVRE DEUXIÈME.

M. Le Maître répondit à cette lettre de sa tante en jeune homme amoureux et véhément, mais avec moins d’esprit qu’elle et de légèreté ; les premiers mots suffiront : «Ma très-chère tante, si je n’avois appelé de vos paroles, vous n’auriez point reçu de moi de réponse. La première page de votre lettre m’a piqué si vivement que j’ai été plus de quinze jours à la lire, ne trouvant point de ligne qui ne m’arrêtât et ne me parût injurieuse… Les bornes que j’ai mises à ma lecture en ont mis aussi à ma douleur…» Et il s’attache à disculper le mariage. Mais la mère Agnès ne se laissa pas vaincre si aisément, et lui écrivant de nouveau, après deux ou trois lignes de réplique directe, elle reprend son idée d’allégorie mystique, et suppose de plus en plus (non sans quelque malice d’enjouement) que c’est du mariage avec l’Église que son neveu entend uniquement parler : «Vous voulez épouser la Chasteté ; que ne m’avouez-vous votre secret, puisque Jésus-Christ m’en a donné la connoissance ?» On peut dire que dans son style séraphique elle le lutine[1].


    quant au sens et en aidant de beaucoup à l’agrément. Le goût de la parfaite sobriété qu’eurent Pascal, La Bruyère, ne passa à tous les gens d’esprit qu’au dix-huitième siècle : Voltaire y donne la mesure. Les Jansénistes ont la phrase longue, disait-il. — (Quant aux Lettres de la mère Agnès en particulier, chacun peut en juger en pleine connaissance de cause, depuis que le recueil complet en a été donné avec beaucoup de soin et d’exactitude par M. Prosper Faugère, 2 vol. in-8o, 1858.)

  1. Elle ajoute encore : «Vous voulez paroître séducteur étant véritable, et, en choisissant la meilleure part, soutenir ceux qui ont la moindre. L’Évangile dit bien qu’il se verra des loups en vêtements de brebis, mais elle ne dit pas qu’il viendra des brebis vêtues en loups, et c’est ce que vous faites en la vôtre, où il semble d’un loup qui se jette sur un agneau (ou une Agnès) ; et quand on lève cette peau de loup, on trouve la laine d’un mouton et la douceur d’un esprit qui ne respire que la paix sous cette apparence de guerre.» Voilà le goût de la mère Agnès dans toute sa licence et sa fleur ; c’est le règne encore de M. de Lan