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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/398

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PORT-ROYAL.

que M. Le Maître avait perdu la tête. Plusieurs de ses parents, M. Henri Arnauld, son oncle, alors abbé de Saint-Nicolas d’Angers, depuis évêque et saint évêque, lui conseillait de se méfier, de ne rien précipiter : il était au fond assez de l’avis de M. le Chancelier[1].

    le monde par une vie sérieuse ? Pourquoi se travestir et se couvrir de haillons ?…» Tous propos fort raisonnables, et qui pourtant ont tort dans le fond : car, sans une certaine outrance, le grand but ne s’atteint pas. M. Singlin s’armait surtout, en défendant M. Le Maître, de l’exemple de saint Paulin : il suivait au long la comparaison des deux retraites : «Que si, disait-il, quelques-uns avoient fait l’honneur à M. Le Maître de le croire imbécile et foible d’esprit, saint Paulin n’avoit point été épargné en ce point, comme il le remarque par ces paroles :

    .....Stultus diversa sequentibus esse
    Nil moror, œterno mea dum sententia Régi
    Sit sapiens .....»

    Il faut lire tout ce passage très beau et très senti du dixième poème de saint Paulin, adressé à Ausone

    .... Breve quidquid homo est, ut corporis aegri,
    Temporis occidui, et sine Christo pulvis et umbra :
    Quod probat et damnat tanti est, quanti arbiler ipse !

  1. Après que la retraite fut consommée, il pensa que son neveu n’avait rien de mieux à faire, pour se créer sans doute une carrière nouvelle, que d’entrer dans les Ordres : il le voyait déjà évêque. — Cet Henri Arnauld, d’abord nommé M. de Trie, puis abbé de Saint-Nicolas, le cadet de M. d’Andilly, et que j’aurai assez peu l’occasion de nommer, resta longtemps engagé dans les affaires du monde, tout ecclésiastique qu’il était. Jeune, il avait accompagné le cardinal Bentivoglio à Rome ; il y retourna au commencement de 1646, comme chargé d’affaires au nom du roi ; il y fit preuve d’habileté diplomatique et réussit en particulier à y maintenir la protection de la France en faveur des cardinaux Barberins persécutés par Innocent X. On a ses Négociations, publiées en cinq volumes par son petit-neveu l’abbé de Pomponne : il y avait déjà du Pomponne dans cet oncle-là. Les Barberins reconnaissants lui firent, après leur rétablissement, ériger une statue dans leur palais de Rome, avec ce vers de Fortunat sur saint Grégoire de Tours, et qui s’applique si bien aux Arnauld :

    Alpibus Arvernis veniens mons altior ipsis.

    Par un à-propos singulier, les Arnauld venus d’Auvergne avaient en