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PORT-ROYAL.

version, par sa constante et infatigable ardeur, par je ne sais quoi d’irrégulier qu’il garda toujours sous la discipline, il les domine tous[1]. Si ces solitaires que nous avons à énumérer maintenant, et à faire passer devant nous, avaient dû sortir de leur désert et faire irruption dans le siècle, comme on l’a vu plus d’une fois de ceux de la Thébaïde accourant dans Alexandrie, et comme on le dit de ces autres solitaires qui, le grand Macédonius en tête, descendirent de leur montagne dans Antioche affligée et châtiée par Théodose, c’est avec M. Le Maître en tête qu’on les aurait vus marcher. Il y avait en lui du saint Antoine, son patron, et surtout du saint Jérôme. Comme celui-ci, il était un grand lutteur des déserts, ne sachant qu’inventer pour se mater lui-même et se roulant presque dans l’arène enflammée, — du moins bêchant la terre, sciant les blés, faisant les foins par la chaleur de midi, se ressuyant son chapelet en main au soleil, s’interdisant le feu dans les durs hivers, puis replongé, au sortir de ces travaux manuels, dans l’étude opiniâtre, dans l’hébreu qu’il dévorait pour arriver à l’esprit le plus caché de l’Écriture, compulsant toute la doctrine des Pères, les traduisant, en divulguant de petits traités, en écrivant des vies savantes, y ramassant des matériaux pour les écrits de M. Arnauld son oncle (son jeune oncle), et passant de là à l’apologie de la vérité présente attaquée : on parlera, à l’occasion, de quelques-uns de ces ouvrages. Avec cela, jusqu’au bout, des tumultes d’esprit extraordinaires, des restes de vieil homme qu’il déracinait sans cesse plein d’une vigueur toujours nouvelle, mais en se renversant quelquefois à d’autres extrémités. Et, par exemple, dans la

  1. On a dit de lui avec bonheur :

    .... Quo non praestantior alter
    Voce ciere viros, Christumque accendere cantu.