Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
412
PORT-ROYAL.

comme dans une ville pleine d’amis, et l’on ne peut presque plus faire un pas dans la grande rue sans être à l’instant accosté et sollicité d’entrer à droite et à gauche. Si l’on n’y doit pas céder toujours, il sied de s’y prêter quelquefois.

M. de Séricourt eut de grands troubles. Dans sa pénitence si sévère, il trouvait probablement tant de charme à n’être plus séparé de son frère, qu’il crut que Dieu lui demandait davantage : il eut l’idée de se faire chartreux. L’affaire fut menée loin ; elle ne manqua que du côté de ces religieux, un peu effrayés déjà, à cette époque, de ce qui sentait le Jansénisme. Il dut rester à Port-Royal à continuer ses austérités redoublées et comme son martyre.

Quand on voit de telles natures si aimables, ce semble, et si innocentes, de qui l’on dirait volontiers comme Vauvenargues de son ami Hippolyte : Tes années croissaient sans reproche, et l’aurore de ta vertu jetait un éclat ravissant ; de ces natures ingénues, délicates, sérieuses, sur qui paraît être modelée cette autre charmante pensée : Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d’un jeune homme ; quand on les voit, à ce début de la jeunesse et d’une carrière brillante, à cette heure même où il est vrai de dire : Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire, s’en arracher brusquement, se frapper, se repentir, aller, comme M. de Séricourt, à des partis tout d’abord extrêmes et qui ne le satisfont pas ; quand on le voit, lui si tendrement lié à son frère, et après des années passées dans la même solitude, s’inquiéter encore de ce trop de douceur et n’aspirer qu’à une cellule plus retranchée, on se demande involontairement : À quoi bon ? et si ce n’est pas trop, si ce n’est pas l’opposé même du bon poids de la balance chrétienne.