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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

d’embellir cette terre trop chère, ces jardins délicieux, et elle se le reprochait à la fin. M. Hamon, l'un de ces saints hommes, et qui, hors du Jansénisme, dans une autre communion, eût été, je me le figure, quelque chose comme M. Gonthier[1], M. Hamon, pour se garder du charme des lieux, se disait que ce charme distrayait de l’intérieur : « Et cela est si vrai, ajoutait-il naïvement, qu’il y a plusieurs personnes qui sont obligées de fermer les yeux lorsqu’elles prient dans des églises qui sont trop belles. » Je me suis quelquefois étonné et j’ai regretté qu’il n’y ait pas eu à Port-Royal, ou dans cette postérité qui suivit, un poète comme William Cowper, l’ami de Jean Newton. Cowper était, comme Pascal, frappé de terreur à l’idée de la vengeance de Dieu ; il avait de ces tremblements qu’inspirait M. de Saint-Cyran, et il a si tendrement chanté ! Nous tâcherons du moins, Messieurs, de relever, chemin faisant, de recueillir et de vous communiquer ces doux éclairs d’un sujet si grave. Ce ne sera jamais une émotion vive, ardente, rayonnante : c’est moins que cela, c’est mieux que cela peut-être ; une impression voilée, tacite, mais profonde ; — quelque chose comme ce que je voyais ces jours derniers d’automne sur votre beau lac un peu couvert, et sous un ciel qui l’était aussi. Nulle part, à cause des nuages, on ne distinguait le soleil ni aucune place bleue qui fît sourire le firmament ; mais, à un certain endroit du lac, sur une certaine zone indécise, on voyait, non pas l’image même du disque, pourtant une lumière blanche, éparse, réfléchie, de cet astre qu’on ne voyait pas. En regardant à des heures différentes, le ciel restant toujours voilé, le disque ne s’apercevant pas davantage, on suivait cette zone de lumière réfléchie, de

  1. Voir la Vie de M. Gonthier (1838).