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LIVRE DEUXIÈME.

tendresse de cœur, l’effusion aimante et l’onction, et encore pour la grandeur ou la fleur et l’heureuse subtilité de l’expression, M. de Saint-Cyran est loin de suffire seul à saint Augustin : il lui faut pour auxiliaires et pour renfort Bossuet et Fénelon, afin que tous les trois réunis puissent subvenir, en quelque sorte, à cette vaste comparaison onéreuse. Saint Augustin est comme ces grands empires qui ne se transmettent à des héritiers même illustres qu’en se divisant. M. de Saint-Cyran, Bossuet et Fénelon (on y joindrait aussi sous de certains aspects Malebranche) peuvent être dits, au dix-septième siècle, d’admirables démembrements de saint Augustin.

Il n’y a qu’un point à excepter toutefois, et par où saint Augustin est fort inférieur à deux des précédents : je veux parler du style. Il y cède de beaucoup à Bossuet et à Fénelon. Non pas qu’il n’ait dans le sien grandeur et fleur, mais il a mauvais goût. Cela tient à son siècle, à un temps de décadence et de rhétorique où nul plus que lui n’abonda. Il est grand écrivain, mais dans une langue gâtée ; Bossuet et Fénelon sont de grands écrivains dans une langue saine. Malebranche n’y est qu’excellent.

Revenons au jeune Lancelot qui attend dans toute la piété du filial désir. Il se rappelait pourtant avoir vu une fois M. de Saint-Cyran, qui était venu diner à Saint-Nicolas, à l’occasion de la première messe d’un de ses amis : M. Bourdoise, quand la compagnie se fut retirée, avait dit aux jeunes gens que c’était un des plus savants hommes du siècle ; mais, comme M. de Saint-Cyran n’avait presque point parlé durant tout le dîner, Lancelot n’avait guère fait alors d’attention à cette louange qui maintenant lui revenait. M. Ferrand, apprenant de là que le docte abbé connaissait M. Bourdoise, se récria de joie et désira le voir par cette entremise : ce que sut très bien ménager Lancelot qui avait l’oreille du bon