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PORT-ROYAL.

cette veille de l’esprit. M. de Séricourt, accoutumé à sa ronde de major, se chargeait d’éveiller à temps. On chantait le Te Deum tout haut, et le reste à voix basse en psalmodiant.

Une des grandes dévotions de M. de Saint-Cyran était en effet qu’on chantât des hymnes ou cantiques ; il en recommandait l’usage à chacun de ceux qui venaient sous sa direction. Dans son Donjon de Vincennes, déjà affaibli par le mal, après quelque petit sommeil qui l’avait un peu récréé, on l’entendra chanter à haute voix un psaume. Voici un charmant passage qui peint à ravir, dans les dehors de Port-Royal, ces premiers temps de renaissance et de réveil :

« Il me souvient, dit Lancelot, d’avoir vu une lettre que M. de Saint-Cyran écrivit à M. Des Touches au commencement de sa retraite, où il lui ordonne cette dévotion, lui alléguant ce passage de l’Apôtre[1] : Cantantes et psallenttes in cordibus vestris (Chantez et psalmodiez au fond de vos cœurs) ; et chacun le pratiquoit en son logis après qu’il y étoit retourné, de sorte qu’on y entendoit chanter doucement des Cantiques de tous côtés, ce qui me remettoit dans l’esprit l’image de cette première Église de Jérusalem, où saint Jérôme dit qu’encore de son temps on entendoit de toutes parts, et dans la campagne et dans les maisons, résonner les chants des Psaumes et des Alleluia. Mais ceux qui se chantoient chez M. de Saint-Cyran se disoient d’une voix si douce et si modérée que les voisins n’en pouvoient rien du tout entendre, ce qui auroit été sujet à plusieurs interprétations[2]. »

Ce sont là de ces choses qu’on ne rencontre pas sur le grand chemin du siècle de Richelieu et de Louis XIV, et qui méritent bien, ce me semble, qu’on se détourne et qu’on ne regrette pas de les aller chercher ; c’en sont les douces catacombes.

  1. Aux Éphésiens, V, 19.
  2. Mémoires de Lancelot, t. II p. 76.