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PORT-ROYAL.

quoi on peut n’y plus penser. Vous ne supportez pas assez vos fautes. J’en fais plus que vous, et c’est une merveille de ce que nous n’en faisons pas encore plus, étant aussi foibles que nous sommes. C’est une méchante tentation. Il faut continuer de servir Dieu sans y avoir égard, et se relever doucement et humblement de ses chutes. Je fais bien de ces sortes de fautes ; mais, quand je les avoue, c’est assez pour moi. Dieu me garde seulement de l'aveuglement de l’esprit ! Croyez-moi, le trop ou le trop peu que vous dites ne vous nuira pas devant Dieu, si vous vous en humiliez. Notre ministère doit être dans une perpétuelle oraison et dans un continuel gémissement, mais il ne faut pas pour cela quitter. … Priez, priez beaucoup pour vos pénitents et ne vous empressez de rien : c’étoit la faute de Marthe…, Nous devons traiter doucement les âmes imparfaites. Nous ne pouvons rien au delà de la Grâce : elle veut que nous nous baissions ainsi[1]…» — « … Mais il arrive un mal de là, dit M. Singlin, on sait que vous conduisez les gens, et on leur voit faire des choses que l’on ne peut pas approuver…» (Et ce mot de M. Singlin remet M. de Saint-Cyran dans sa voie plus habituelle de sévérité :) — «Souvenez-vous bien. Monsieur, qu’il faut garder notre règle : si le cœur n’est renversé, et si les pénitents ne parlent plus d’une fois en suppliants, il ne faut pas les écouter. Il faut que Dieu change le cœur et le mette en état d’attirer la Grâce, afin de bien aller au prêtre ; car nous sommes ministres, non de la loi, mais de l’esprit, ou, pour mieux dire, non de la lettre ou par la lettre, mais par l’esprit ou selon l’esprit. Les mauvais commencements gâtent toutes les suites. Le désir que j’ai eu de garder cette règle a été la cause de ma prison, dont je loue Dieu…»

  1. Cette contre-partie était nécessaire pour mettre l’ombre humaine à cette idée si éclatante du Prêtre, pour empêcher l’orgueil de s’y introduire et l’y éteindre s’il s’y mêlait déjà. Saint-Cyran ailleurs a dit encore : «Si le Prêtre est Roi et Empereur, c’est un Roi humble et servant les âmes, de sorte qu’il doit être, comme dit l’Écriture, le moindre de tous les serviteurs des âmes qui lui sont soumises.…» Nous embrassons maintenant réunies toutes les misères et les grandeurs du Prêtre, de ce Roi gémissant.