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LIVRE DEUXIÈME.

de la science. Il en était là en ses dernières années. Bien souvent, nous dit Lancelot[1], je l’ai vu, après s’être élevé comme une aigle en nous parlant, s’arrêter tout court ; et, de peur que cela ne parût trop étonnant, il ajoutait : « Ce n’est pas que je ne trouve rien à dire, mais c’est au contraire parce qu’il se présente trop de choses à mon esprit ; et je regarde Dieu pour voir ce qu’il est plus à propos que je vous dise. » Sa science était devenue de l’intuition, et on la surprenait à l’état d’éblouissement. — Le jour de la Conversion de saint Paul (25 janvier), il fit aux solitaires une de ces conférences où il se surpassa. Lancelot voulut, en rentrant dans sa chambre, en mettre par écrit quelque chose ; ce que M. de Saint-Cyran ayant su : « Comment auroit-il pu le faire, dit-il, puisque, quand j’ai été ici de retour, j’ai voulu moi-même en mettre quelque chose sur le papier, et ne l’ai pu ? L’Esprit de Dieu, ajoutait-il, est quelquefois vadens et non rediens (un esprit qui passe et ne revient plus). Il a ses heures, ou, pour mieux dire, ses moments ; c’est à nous à l’adorer et à le suivre quand il se présente. » Et quand il écrivait avec abondance les pensées qui lui venaient sur divers pieux sujets, il en disait : « Hélas ! je ne les regarde presque jamais, mais je loue Dieu en les écrivant, et je lui fais un sacrifice de ce qu’il me donne ; » y appliquant encore cette parole du Psalmiste : « Reliquiae cogitationis diem festum agent tibi : Seigneur, les souvenirs, les miettes des pensées que vous aurez données à l’homme, le tiendront en fête continuelle devant vous[2]. »

C’est ainsi, reprend Lancelot, qu’il était comme un

  1. Mémoires, t. I, p. 45 ; en tout ceci, j’emprunte à pleines mains à ces admirables pages.
  2. Psaume LXXV, 11.