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LIVRE DEUXIÈME.

Ce genre de vie, cette fin d’hiver fructueux et mûrissant, cet avril austère d’un printemps à peine commencé dura sans trouble à Port-Royal et se prolongea jusqu’à la fête de l’Ascension, jusqu’à la veille de la

    ment regret à vous combattre. Vous êtes de ces religieux qu’on aimerait à rencontrer dans le monde et avec qui on passerait une heure ou deux fort agréablement. Vous êtes surtout un lettré. C’est là ce que vous aimez ; c’est le côté faible en vous ; c’est ce qui vous pique. Rappelez-vous avec quel zèle, vous et votre confrère Bouhours, vous vous mîtes à compulser et à dépouiller vos propres écrits pour avoir le plaisir et l’honneur d’être cités dans le Dictionnaire de Richelet ; vous vous y donnâtes à corps perdu tous deux : vous fournîtes à l’auteur du Dictionnaire vos petits extraits vous-mêmes. Cet auteur savait bien ce qu’il faisait quand il mettait ainsi votre amour-propre en jeu Les vers latins sont votre fort ; vous en avez fait de faciles et de coulants, sans aucune originalité toutefois : cela n’est plus possible. Des réflexions sur l’Éloquence et la Poésie, des comparaisons des auteurs anciens grecs et latins, vous en avez fait aussi de judicieuses et d’élégantes, bien que sans aucune originalité encore, sans aucune marque qui fût à vous, soit pour l’expression, soit pour la doctrine. Le Père Vavasseur, votre confrère, nous édifierait au besoin sur votre légèreté et votre peu de fond solide comme classique. Mais c’est un brutal ; ne le consultons pas, et comme encore une fois vous êtes aimable à la rencontre, ne vous pressons pas trop sur votre connaissance de l’antiquité. Vous êtes un bon religieux, je le reconnais, et meilleur que votre confrère le Père Bouhours, qui ne va jamais sans vous, mais qui fait parler de lui pour les mœurs. Vous, vous êtes régulier, mais d’une régularité aisée et un peu routinière. Vous êtes pour moi un exemple de ce qu’un esprit littéraire peut avoir de qualités ornées et de politesse de rhétorique, sans un grain de philosophie et avec une soumission, une démission absolue en fait d’idées. Vous n’avez jamais songé à penser par vous-même. Le neuf en tout ou le véritable antique vous étonne ; vous ne voulez pas plus de Descartes que vous n’aimez saint Augustin c’est trop fort pour vous. Allez donc, sortez beaucoup, allez et venez du collège au monde, mon Révérend Père ; recueillez des anecdotes, des explications de salons pour les écrire ; toutes les fois qu’il s’agira de renseignements sur les dames en particulier, sur le ton et l’esprit des sociétés où vous avez vécu, je vous écouterai volontiers, je mettrai même à profit vos confidences : vous en avez d’assez curieuses et qu’on chercherait vainement ailleurs. Mais dès qu’il