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LIVRE DEUXIÈME.

jet tout-à-fait favori vers la fin, d’établir un Patriarche en France et de l’être. Il affectait sans doute près de ceux qui l’entouraient de ne mettre en avant ce projet que comme s’il voulait effrayer Rome ; mais il y tenait de cœur en effet plus qu’il n’osait dire, et, dans cette vue, M. de Saint-Cyran et sa plume, et son parti, pouvaient devenir un grand obstacle. Perspective singulière ! le cas échéant, et par une inversion de rôle plutôt que de principes, Port-Royal eût naturellement défendu la suprématie de Rome et le Pape d’au delà des monts contre un anti-pape d’en deçà et à la fois premier ministre temporel : et c’eût été au nom de l’indépendance chrétienne que Port-Royal eût combattu encore. Il s’en verra, au reste, quelque chose dans l’affaire de la Régale, où les Jansénistes furent pour Rome contre Louis XIV ; ils ne voulaient pas plus d’un roi-évêque qu’ils n’auraient voulu d’un premier ministre Patriarche.

Ce qui toutefois décida très-probablement l’heure de l’arrestation de M. de Saint-Cyran et n’y servit pas de simple prétexte fut cette grande affaire dite de l'attrition. Il faut oser voir les grands hommes comme ils ont été : Richelieu, on l’a dit, ne se piquait pas moins de théologie que de vers, que de guerre ; controversiste et bel esprit en même temps qu’indévot au-dedans et ambitieux au-dehors, il n’est pas moins dans la persécution du Cid et dans cette opiniâtreté piquée sur l’attrition, que dans l’alliance avec Gustave-Adolphe et dans l’équilibre rétabli de l’Europe : « un très-grand homme, dit Retz, mais qui avoit au souverain degré le foible de ne point mépriser les petites choses. »

Il faut, à l’instant, ajouter cette autre observation de Retz, qui corrige, raccommode et renferme dans de certaines limites ces petitesses : « Les grands hommes peuvent avoir de grands foibles, mais il y en a dont ils ne sont pas susceptibles, et je n’ai jamais vu, par exemple,