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LIVRE DEUXIÈME.

Après cet interrogatoire, qui dura huit heures à deux reprises, ledit sieur Commissaire visita les livres du répondant, qui consistaient en une petite Bible en douze tomes, quatre ou cinq petits volumes de saint Augustin, un saint Paulin (le M. Le Maître de son temps), un Nouveau-Testament grec et latin et une traduction par Joulet des six livres du Sacerdoce de saint Chrysostome. Puis il fit écrire (sérieusement) au bas de l’Interrogatoire qu’il n’avait point trouvé de livre qui fût suspect de mauvaise doctrine, et qu’il avait néanmoins pris et déposé aux mains du greffier cette traduction de Joulet, à cause qu’il y avait quelques notes à la marge écrites de la main dudit répondant. Il saisit encore un sermon traduit de saint Augustin par M. de Saci, à cause de quelques corrections de style ou de sens que son frère avait ajoutées à la première page, comme si le répondant n’écrivait plus rien qu’on ne pût soupçonner d’erreur, depuis qu’à l’appel de Dieu il s’était jeté hors du monde pour faire pénitence.

Tout cet Interrogatoire de M. Le Maître par Laubardemont (même tel qu’il se lit dans sa forme adoucie) fait monter aux lèvres risée et nausée à la fois ; c’est de la bêtise, et de la bêtise méchante et cruelle : justice est qu’elle rejaillisse en plein sur la grandeur de Richelieu.

Il fallut quitter cette retraite dès lors si chère ; M. Le Maître lui fit ses adieux par ces quatre vers qu’il récita plusieurs fois avec larmes :

Lieux charmants, prisons volontaires,
On me bannit en vain de vos sacrés déserts :
Le suprême Dieu que je sers
Fait partout de vrais solitaires !

Vers mélodieux, vers émus, et qui seraient dignes de Racine enfant ! Si ce désert eût eu du sentiment, dit Fontaine, il en eût pleuré,