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PORT-ROYAL.

Et loin de moi, dans tous ces jugements que je porte en passant sur de grands hommes et de saints personnages, François de Sales, M. de Bérulle, Vincent de Paul, — loin de moi la présomption, je ne dis pas de les sacrifier, mais même de les subordonner à Saint-Cyran ! Seulement, comme je donne l’histoire de celui-ci moins connu et méconnu, je m’attache à le mettre en relief et à faire valoir ses avantages, n’ayant pas dissimulé d’ailleurs ses côtés plus embrouillés ou plus durs. Je serais surtout fâché que personne pût voir dans aucune de mes paroles sur Vincent de Paul la moindre intention de rabaisser un véritable modèle évangélique, cet instituteur des Sœurs de Charité, ce père des Enfants-trouvés, ce consolateur des forçats, cet homme d’humilité qui, captif à Tunis dans sa jeunesse, y ayant converti le renégat son maître et l’ayant ramené avec lui par une suite de circonstances extraordinaires, ne parla jamais depuis de ces circonstances si touchantes pour lui-même et si saintement glorieuses, et au contraire en voulut ensevelir, anéantir ici-bas tout humain témoignage, tellement que la seule lettre anciennement écrite à un ami, où cette histoire était retracée, n’échappa à la destruction qu’il en allait faire, que par la ruse de l’ami à qui il la redemandait[1]. C’est là un héroïsme d’humilité, comme il en eut de charité. Mais, après avoir admiré et vénéré, il faut ajouter aussi, pour ne pas mentir à l’homme et ne pas faire rougir le saint par un faux éloge, qu’il était un peu timide et trop humble avec les puissants, un peu sujet à la crainte d’offenser les personnes de condition ; qu’il put être président du Conseil de conscience de la reine Anne d’Autriche, côte à côte avec Mazarin et le chancelier Seguier, ce que certes n’aurait

  1. Voir dans Abelly, liv, I, chap. TV, cette naïve et sublime histoire.