Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
510
PORT-ROYAL.

chappe à des propos bien amers[1]. M. de Barcos d’abord, plus tard M. de Montpellier, furent plus charitablement respectueux. Les adversaires furent simplement odieux. Ils alléguaient surtout un mot que M. de Saint-Cyran aurait dit à saint Vincent : Calvinus bene sensit, male locutus est. Mais l’on sait à fond maintenant sur quels points Saint-Cyran était presque calviniste, et sur quels autres il ne l’était pas du tout.

Proposons une dernière fois, tâchons de graver le simple contraste des figures :

M. de Saint-Cyran, principalement homme d’étude et de doctrine, de pénitence solitaire intérieure, et de direction grave, occulte, réservée et sévère, embrassant l’ensemble du dogme et toute l’ordonnance du système chrétien, et le voulant restaurer d’esprit, de principe, autant que de fait ;

Saint Vincent de Paul, tout de pratique charitable, active et infatigable, tout d’effusion, d’insinuation et d’œuvres, d’admirables œuvres qui, une fois conçues et commencées, lui semblaient à accomplir à tout prix, moyennant même toutes sortes de gens puissants que cette charité aussi naïve qu’héroïque intéressait et comme séduisait dans sa fine douceur, et que son humilité ne heurtait jamais.

M. Vincent allait, disant surtout : Dieu est bon ; et M. de Saint-Cyran : Dieu est terrible ! et il y eut un point où ils durent s’entre-choquer ; car Dieu seul concilie en lui toutes choses, et les plus contraires en apparence, dans sa pleine grandeur,[2] ; mais l’homme est sans cesse

    et que répètent superstitieusement tous ses biographes. J’ai trop rougi de cette sotte histoire de nos amis pour l’enregistrer.

  1. Page 384, tome II des Mémoires pour servir… Utrecht, 1742.
  2. C’est ce qui a fait dire à un moderne sous une forme plus hardie : « Dieu est la projection à l’infini de toutes les contradictions qui passent par une tête humaine. » Est-il besoin d’ajouter