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PORT-ROYAL.

pour être, à leur égard, l’unique oracle de la vérité auquel ils dussent se soumettre.

C’est aussi pour la même raison, et suivant les principes de saint Augustin et de tous les théologiens catholiques, que les Jésuites refusaient de reconnaître dans la piété et dans les œuvres de Saint-Cyran une piété véritable et de véritables vertus chrétiennes. Nous touchons ici un point délicat et qui a fourni à M. S.-B. la matière d’un reproche sanglant contre les adversaires de Du Verger de Hauranne. À l’endroit où Lancelot parle avec admiration des pensées de haute spiritualité que Dieu aurait communiquées à Saint-Cyran, M. S.-B. a mis la note suivante : « Ce que le récit de Lancelot nous montre là dans son vrai sens, à l’état de justesse et de sublimité, se travestissait ridiculement ou odieusement dans les récits de ses adversaires[1]. » Nous en demandons pardon à M. S.-B., et nous le prions de nous dire ce que des Catholiques doivent penser des communications divines faites à un homme qui, de sa propre autorité, se pose en arbitre de la foi et de la morale ; qui rejette en partie la doctrine enseignée par l’Église catholique ; qui vient opposer à cet enseignement de nouveaux dogmes ? Les Catholiques ne doivent-ils pas penser que cet homme est, selon le langage de l’Écriture, un faux prophète, qui se dit envoyé de Dieu et que Dieu n’a pas envoyé[2] ? Ne doivent-ils pas se rappeler aussi les paroles de saint Paul : « Que si quelqu’un, dit l’Apôtre, fût-ce même un Ange descendu du ciel, vient vous annoncer une doctrine autre que celle que je vous ai enseignée, qu’il soit anathème ! » D’après cela est-il si ridicule et si odieux que des docteurs catholiques traitent, selon les principes catholiques, de visions et d’impostures les prétendues inspirations d’un homme qui vient déclamer contre l’Église catholique et contre sa doctrine ? On ajoutera peut-être qu’il est misérable de voir les adversaires de Saint-Cyran accueillir tous les propos qui ont été tenus sur son compte, ramasser et commenter au long les griefs qui lui ont été imputés. Sans entreprendre ici de justifier dans le détail la conduite de ceux qui ont écrit contre le nouveau réformateur, je me contente de dire que dans le fond ils usaient d’un droit, et qu’on peut même dire qu’ils remplissaient un devoir. Rien n’est plus séduisant, en effet, pour le commun des hommes qu’un extérieur de vertu et de sainteté en ceux qui propagent de nouvelles doctrines, en ces apôtres de l’erreur qui, selon la parole de saint Paul, ont les dehors de la piété sans en avoir la vertu, et qui, par des discours pleins d’artifices et d’une fausse spiritualité, séduisent les cœurs des personnes innocentes.

Que le Père Rapin ou tout autre aient excédé en ce point, qu’ils

  1. Port-Royal, tome Ier, liv. II, page 482.
  2. Ézéchiel, ch. XIII, 6, b ; XXII, 28.