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APPENDICE.

toutes dans un ensemble frappant, mais qui est plus successif, plein de retouches et de révisions, même minutieuses, plein de scrupules et de repentirs, cheminant petit à petit, avançant au fur et à mesure : « En sorte qu’on fait dans son livre, disait-il, la connaissance du personnage à peu près comme on l’eût faite dans la vie, une nouvelle rencontre ajoutant à ce qu’une première a fait découvrir, les contours d’abord peu arrêtés se dessinant jour à jour, comme ils se dessinent page à page, dans le livre de M. Sainte-Beuve, si bien qu’à la fin, sans trop savoir comment, et sans y avoir tâché, on connaît son homme. Saint-Cyran est répandu ainsi dans la moitié du livre de Port-Royal… » Enfin M. Vinet, indiquant qu’il pouvait bien y avoir dans l’ouvrage quelques hors-d’œuvre, quelques excursions et allées et venues trop fréquentes, et des digressions littéraires dont, à la rigueur, Port-Royal pouvait se passer, ajoutait toutefois en concluant : « À côté de son sujet, comme dans son sujet, M. S.-B. a trouvé des trésors. »

En regard de ce précieux et cher suffrage, qui est aujourd’hui encore ma meilleure récompense, je n’aurais jamais cru avoir à m’occuper de la critique d’un autre écrivain qui, seul entre tous, a cru devoir choisir cette occasion pour m’insulter et m’injurier. Cependant la réputation, selon moi fort exagérée, que l’on a faite depuis sa mort à cet écrivain, l’espèce de qualification d’homme de génie qu’on lui décerne, m’a obligé d’y regarder d’un peu plus près que je n’avais fait d’abord, et c’est ainsi que je suis amené à prononcer, en un tel sujet et en un tel lieu que Port-Royal, le nom de M. de Balzac.

Ayant fondé dans l’été de 1840 une Revue parisienne, destinée à immoler tous les auteurs contemporains de quelque valeur sur l’autel de sa vanité, à les démolir, comme il le disait poliment, le célèbre romancier rencontra sous sa main ce volume de Port-Royal qui venait de paraître, et il en disserta au long dans un des articles les plus incroyables qui soient sortis de la plume d’un homme de talent.

Ses motifs de m’en vouloir étaient puisés dans la personnalité la plus directe et la moins dissimulée. Irrité d’un article modéré (bien qu’insuffisant peut-être) que j’avais écrit sur lui, dans la Revue des Deux Mondes, à propos de la Recherche de l’Absolu, il s’était écrié au moment où il en achevait la lecture : « Il me le paiera ! je lui passerai ma plume au travers du corps. » Il ne plaisantait pas en s’exprimant ainsi. Je tiens le fait d’un témoin (Jules Sandeau) qui était présent quand il lut l’article. Il avait dit encore, en parlant d’un roman que je venais de publier vers ce temps-là : « Je me vengerai, et je referai Volupté ; » et il fit, en effet, ce Lys dans la vallée où, dès les premières pages, il nous montre son héros mordant dans un quartier d’épaule comme dans