Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
PORT-ROYAL.

des princes, puisque les soldats ne font rien que les princes tiennent à honte de faire !» Cette action, dont le bruit courut, électrisa les soldats, qui peut-être n’aimaient guère jusque-là ce travail de pioche, et leur rendit ou leur redoubla le courage. Il paraît pourtant que M. Arnauld, qui avait de l’humanité, fit donner sous main quelques pistoles au pauvre diable de valet de chambre, pour le dédommager du bâton.

Ce que son régiment était à M. Arnauld du Fort, Port-Royal, le monastère, le semblera un peu à ses neveux, à ses nièces. Il sera tout au monde à leurs yeux, le lieu supérieur, incomparable, à faire envie aux princes ; et leur humilité y mettra un peu trop sa gloire.

On verra d’ailleurs avec plaisir ce M. Arnauld du Fort représenté en quelque sorte à Port-Royal, non seulement dans la personne de ses neveux et nièces, mais aussi comme directement par M. de Pontis, un de nos premiers solitaires et de ses anciens compagnons d’armes, le plus vieil officier vétéran sous Louis XIV.

Il y eut encore un autre Arnauld, neveu du précédent et cousin-germain des nôtres, fils d’un intendant des finances, et qui fut un guerrier fort connu de son temps : quand on disait simplement M. Arnauld, c’était de lui, sous Richelieu, sous la Fronde, à la Cour, à l’hôtel de Rambouillet, qu’on entendait parler. Il eut très jeune la charge de mestre-de-camp des carabins après son oncle ; mais, commandant à Philisbourg, une nuit il se laissa surprendre[1] D’Andilly remarque que je ne sais quoi de fatal sembla s’opposer toujours à l’entière élévation de sa famille. Arnauld du Fort eût été

  1. M. Arnauld aurait pu chansonner lui-même sa déconfiture en cette place par des vers badins (car il en faisait) un peu moins bons que ceux que Voltaire datait de Philisbourg, mais sur ce ton-là et à la suite de Voiture.