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PORT-ROYAL

après s’être comparé lui et les gens d’entendement et de bien, de tout temps dénonciateurs des Jésuites, à d’inutiles Cassandres :

Ora, Dei jussu, non unquam credita Teucris ;

l’orateur s’écriait : «Henri III, mon grand prince, qui as ce contentement dans le Ciel de voir ton légitime et généreux successeur, ayant passé sur le ventre de tous tes ennemis, régner tantôt paisible en ta maison du Louvre, et maintenant sur la frontière rompre, dissiper et tourner en fuite…… (j’abrège la phrase incidente, qui n’en finit pas)…, assiste-moi en cette cause, et, me représentant continuellement devant les yeux ta chemise toute sanglante, donne-moi la force et la vigueur de faire sentir à tous tes sujets la douleur, la haine et l’indignation qu’ils doivent porter à ces Jésuites…» Et plus loin : «Quelle langue, quelle voix pourroit suffire pour exprimer les conseils secrets, les conjurations plus horribles que celle des Bacchanales, plus dangereuses que celle de Catilina, qui ont été tenues dans leur collège rue Saint-Jacques, et dans leur église rue Saint-Antoine ?…» Il faut s’arrêter, on en sourit, et cela a été une fois de l’éloquence ! — Et ceci encore en était : «Boutique de Satan où se sont forgés tous les assassinats qui ont été exécutés ou attentés en Europe depuis quarante ans ; ô vrais successeurs des Arsacides ou Assassins !…» Tout est de ce ton ; l’apostrophe et le poing tendu ne cessent pas. Les juges cependant étaient soulevés sur leur siège ; ils s’entre-regardaient et se faisaient des signes d’impatiente admiration.[1] Le peuple, dehors, se pressait à

  1. Il faut tout dire : M. Arnauld parut beaucoup trop violent, même à des contemporains qui ne demandaient pas mieux que de voir triompher ses conclusions contre les Jésuites, On lit dans le Journal de L’Estoile, à la date du mardi 12 juillet 1594 : «… Lors