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LIVRE DEUXIÈME.

mier pas de son salut ou de sa perdition dépendoit de lui.[1] »

En me gardant bien de m’engager avec Jansénius dans le tissu ingénieux de ces échelles de l’âme, j’en ai dit assez pour faire entendre quelle vie et quelle vigueur colorée animent par places cette discussion qui s’agite à la fois dans le fond de la doctrine chrétienne et de la psychologie humaine, selon qu’on voudra l’appeler.

Rien de plus capable, je le répète, de faire réfléchir profondément un esprit sérieux et de l’établir au sommet et à l’origine de toute question sur la foi, sur la liberté, sur la condition même où l’on est ici-bas, que l’exposition et la discussion si ferme et si déliée, si plongeante (qu’on me passe le mot), de cette doctrine semi-pélagienne, de l’expédient imaginé par ces hommes de Marseille et de Lérins si modérés dans leur embarras, lesquels, tout en voulant sauver et maintenir la Grâce, la Rédemption et l’entier Christianisme, voulaient cependant avoir pied par quelque endroit, avoir au moins le bout du pied sur la volonté humaine, pour garder l’unique mérite de se jeter de là eux-mêmes dans l’abîme absolu de la Volonté divine. Quelque jugement qu’on en porte, il y a, de ce point de vue admirablement démêlé et hardiment contredit par Jansénius, une féconde perspective de pensées sur notre nature morale, sur le Christianisme intérieur et véritable, et sur tous les degrés où l’on peut l’admettre : la philosophie et la religion s’y rencontrent et s’y traversent à chaque instant.

Concurrence remarquable ! vers le moment où s’achevait l’Augustinus, une autre œuvre vouée à un succès bien différent allait éclater. Les Méditations de Descartes parurent en 1641 ; le Discours de la Méthode avait paru

  1. Livre VII, De Hœresi pelagiana, chap. I.