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PORT-ROYAL.

dès 1637. Jansénius, mort en 1638, et qui très probablement ne fut pas informé de la première de ces nouveautés presque mondaines, par un pressentiment toutefois des entreprises croissantes de la raison, redoublait de Christianisme rigide, de recours véhément à la Croix, d’appel infatigable à la méthode de tradition et d’autorité. Une sorte de frissonnement à travers l’air l’avertissait du danger. Aussi peu scolastique à sa manière que Descartes, il sentait le besoin de rajeunir et de régénérer la méthode chrétienne ; mais, par sa forme latine, par son échafaudage d’arguments et de textes, par les controverses qu’il souleva, il ne réussit qu’à l’obstruer. Et puis l’heure avait sonné. Un penseur d’alors l’a remarqué finement[1] : le monde semble aller par de certains trains et de grands courants d’idées ; un de ces trains, une de ces vogues subsiste jusqu’à ce que vienne un individu rebelle qui, d’accord avec bien des instincts secrets, donne puissamment du coude à ce qui traîne et installe autre chose à la place. Une de ces phases des méthodes humaines expirait alors : Descartes vint et donna ce coup de coude imprévu, désiré : il fit table rase et jeta à la mer le vieux bagage : il fut neuf, clair, lumineux, et l’on suivit. Le livre de Jansénius, comme une machine de guerre trop chargée, au lieu de porter au dehors, éclata plutôt au dedans et blessa surtout ses amis. Ceux-ci suivirent bientôt Descartes lui-même, sans trop se douter de la fin.

Jansénius ne fit qu’une émeute au sein du Christianisme, Descartes fit révolution partout.

Mais continuons encore d’étudier au fond le livre substantiel, et indépendamment des destinées ; parcourons le d’autant mieux, qu’il est certain qu’on ne le lira plus. Je n’ai parlé jusqu’ici que du premier traité qui comprend

  1. Gabriel Naudé, Avis pour dresser une Bibliothèque.