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LIVRE DEUXIÈME.

le saint docteur, m’avoua son étonnement aussi, ajoutant, il est vrai, qu’il ne pouvait s’empêcher de croire que sur tout un ensemble de points, le grand Docteur, tout grand qu’il était, avait poussé à l’extrême et avait sans doute erré.

Et en effet, je le veux dire en tout respect et comme simple considération de l’état des choses, ce que Jansénius démêlait et dénonçait, moyennant saint Augustin, sous le nom de Semi-Pélagianisme, n’est autre, si vous en exceptez le Jansénisme d’une part, et de l’autre le Calvinisme, avec tout ce qu’on entend aujourd’hui sous le nom de Méthodisme, — n’est autre que l’ensemble du Christianisme général et vulgaire, tel qu’il s’est autorisé à travers les siècles, et particulièrement dans toute l’Église catholique, par une transaction insensible. Cette généralité d’application historique donne même au point de vue de Jansénius une portée singulière et qui dépasse la secte. Si saint Jérôme a pu dire qu’à un certain moment du quatrième siècle l’univers catholique se réveilla presque Arien, il ne serait pas moins exact de dire avec Calvin, avec Jansénius, en résumant ainsi leur pensée, que l’univers catholique aux seizième et dix-septième siècles se réveilla Semi-Pélagien.

Et dans leur pensée encore nous dirions : C’est que le doux, le flatteur, l’orgueilleux et éternel Serpent avait, durant le sommeil, insinué derechef ce mot de volonté toujours cher à l’oreille d’Ève.[1]

  1. Je crois saisir ici la clef d’une contradiction qui a été relevée souvent. On a remarqué que ceux qui, à de certains temps, viennent, au sein du Christianisme, provoquer la liberté d’examen, ceux-là même contestent et ravalent volontiers la liberté morale : ainsi Luther, Calvin, Jansénius. Y a-t-il raison profonde et connexité en cette contradiction singulière ? L’expliquera-t-on vaguement en disant que, quand l’homme a tout entier penché d’un côté, par une suite même de sa faiblesse il se reprend tout d’un coup à l’autre