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PORT-ROYAL.

Y a-t-il pourtant là décidément, dans cette espèce de compromis entre la liberté et la Grâce, une corruption absolue de doctrine, une erreur ? et faut-il en revenir de toute force à la rigidité augustinienne ? Hâtons-nous d’ajouter que bien des théologiens, et des plus autorisés, ne le pensent pas. Plusieurs estiment au contraire que saint Augustin, en renchérissant sur saint Paul et en le faisant passer à l’étal de système, fut en partie novateur en son temps. Jansénius ne s’est pas dissimulé l’objection, qui était celle des savants prêtres de Marseille.[1] Le docteur Launoi, Ellies Du Pin, parmi les neutres, en admettant que Jansénius a fort bien pris les sentiments de son auteur sur la Grâce, croient que le saint avait changé en effet la tradition à cet égard, et s’était écarté des Pères grecs plus conci

    côté et se reporte à l’autre extrême ? Le fait me paraît se résoudre plus simplement. Et d’abord il n’y a pas à s’étonner que ceux qui se séparent à quelque degré de la doctrine régnante fassent appel à la liberté d’examen ; ils n’ont pas le choix, il n’y a pas d’autre moyen pour eux que celui-là. Et quant à nier ou à diminuer l’autre liberté, la liberté morale (ce qui fait ici la contradiction), il est assez simple, s’ils se piquent d’être Chrétiens rigoristes, qu’ils y arrivent. En effet, si on laisse aller le Christianisme sans l’approfondir et le régénérer de temps en temps, il s’y fait comme une infiltration croissante de bon sens humain, de tolérance philosophique, de Semi-Pélagianisme à quelque degré que ce soit : la folie de la Croix s’atténue. Or, dès qu’on prétend, à tort ou à raison, régénérer le Christianisme et redresser la Croix dans toute sa hauteur, il est presque impossible de ne pas revenir à renfoncer dans les esprits l’idée de Chute, la corruption originelle, l’abîme du péché, et par conséquent de ne pas attaquer et humilier la soi-disant liberté morale de l’homme naturel ; ce point, comme but d’attaque, revient toujours. Ainsi il ne faut pas tant s’étonner ni chercher de liaison profonde pour deux circonstances qui sont des conditions séparément essentielles ou à peu près, chez tous les Chrétiens réformateurs, qu’ils se nomment Luthériens, Calvinistes, Jansénistes ou Méthodistes.

  1. ’De Hœresi Pelagiana, lib. VII, cap. XVII : Quotquot enim, etc., etc.