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LIVRE DEUXIÈME.

goire XIII au seizième siècle contre Baïus, par les diverses Bulles contre le Jansénisme durant le dix-septième siècle, et par celle d’Unigenitus en dernier lieu.


Sans prétendre analyser et extraire au long et en stricte division théologique le gros livre d’achoppement, j’ai encore, après ces Prolégomènes de Jansénius sur la méthode chrétienne et sur l’autorité singulière de saint Augustin, à donner idée des deux traités qui suivent, à en tirer de larges et, j’ose dire, de brillants lambeaux.

Le premier traité surtout me semble d’un haut intérêt et d’une véritable grandeur théologique. Il s’agit d’abord de représenter l’homme avant sa chute, l’âme humaine, la volonté et la liberté d’Adam dans l’Éden avant le péché : c’est, on le voit, le même sujet que chez Milton, mais ici analysé, décrit par le théologien, au lieu d’être peint par le poète. Ces deux graves contemporains, Milton et Jansénius, et celui-ci antérieurement à l’autre, s’occupaient, chacun à leur manière, de ce sujet dominant. Je suis persuadé que, si Milton avait lu l’Augustinus, il en aurait pris occasion d’ajouter à la théologie de son Éden, à l’âme de son Adam et de son Ėve, de nouvelles, sérieuses et spirituelles beautés.

Jansénius admet, d’après Augustin, qu’Adam, ainsi que les Anges, a été créé libre avec indifférence parfaite au bien et au mal, entièrement libre, quoiqu’il ne pût faire le bien et persévérer qu’à l’aide de la Grâce, mais cette Grâce était alors entièrement subordonnée à sa liberté. En d’autres termes, Adam pouvait tomber par son plein arbitre, et il ne pouvait faire le bien dès lors qu’avec l’aide de la Grâce ; mais cette Grâce, lui le voulant, ne lui manquait pas. Figurez-vous l’œil en plein jour, un œil sain comme alors la nature d’Adam était saine, un œil qu’on peut fermer, si on le veut, et condamner aux ténèbres à toute force, mais qu’on peut