Nous avons de nos jours (et pourquoi nous le refuser ?) un exemple plus brillant à certains égards, moindre assurément à certains autres, un analogue du grand Arnauld écrivain, dans la personne de M. de La Mennais. Supposez ce dernier, en effet, sans cette imagination à la Jean-Jacques qui colore son style, qui sillonne et revêt sa dialectique, et y donne parfois physionomie : réduisez-le à sa vigueur d’escrime, à sa lucidité logique, à la pure invective déclamatoire, à ce qu’il est déjà si sensiblement pour nous dans bien des pages de ses anciens écrits ; figurez-vous enfin M. de La Mennais moins la faculté de métaphore et sans l’éclair du glaive : vous aurez, pour la manière, quelque chose comme le grand Arnauld. Or, M. de La Mennais, ainsi réduit, serait déjà très peu lu et rentrerait presque dans la condition d’Arnauld.[1]
Je ne fais que brusquer ici le grand portrait déjà ébauché ailleurs[2] et que la suite achèvera. Nous avons plus de cinquante ans encore à vivre avec Arnauld militant. Nous serons aidé, pour le saisir dans son entière portée et constance, par tout ce qui se ramassera en chemin sur lui et les siens. Goethe a remarqué que souvent, à la fin d’une nation, d’une famille, un individu surgit, résumant toutes les qualités des aïeux. Ainsi le docteur Arnauld : dernier né, il concentre en lui, dans son petit corps, il redouble tout l’esprit et le
- ↑ Car qui est-ce qui lit maintenant les second et troisième volumes, par exemple, de l’Essai sur l’Indifférence ? — Il n’est pas jusqu’à l’écriture de M. de La Mennais si nette et si nerveuse, si décidée et si dessinée, qui n’ait grand rapport avec celle d’Arnauld.
- ↑ Précédemment, au chap. VII de ce livre deuxième, pages 11-25.
ran écrivant de Vincennes à sa petite nièce. On a la lettre d’Arnauld 17 juin (1656) ; elle est bien ; mais je n’y trouve pas un seul mot à retenir et à détacher.