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PORT-ROYAL.

disant haut personnage, homme de guerre et capitaine, affectaient des airs cavaliers et sentaient le collège à pleine gorge. Ainsi de tous. Le prédicateur Hersent eut l’idée de se présenter comme médiateur entre les disputants : que va-t-il dire dans sa Dédicace au cardinal Mazarin ? « Il est quelquefois nécessaire en ces rencontres qu’il intervienne un Mercure, je veux dire un esprit ouvert, tranquille, facile et désintéressé … » Mercure à propos de l’Eucharistie ! — Ce fut bien pis quand l’évêque de Lavaur, Abra Raconis, s’en mêla, personnage un peu follet, mystifié autrefois et mitré par Richelieu, étrillé d’importance alors par les Jansénistes : il alla même en mourir, dit-on, sous le coup, en son château de Raconis (1646). Boileau, depuis, l’a niché dans un vers.[1] Une accusation piquait surtout le prélat de Cour, dans les réponses qu’il s’attira : on lui reprochait d’avoir le style de la classe, et non celui du grand monde. Raconis

  1. Alain tousse et se lève, Alain, ce savant homme,
    Qui de Bauny vingt fois a lu toute la Somme,
    Qui possède Abelly, qui sait tout Raconis… (Le Lutrin, chant IV.)

    Voir aussi, au tome IV de Tallemant, l’historiette : l’Esprit de Montmartre et Raconis. — Raconis, né de parents calvinistes, s’était converti de bonne heure ; prêchant un jour, à ses débuts, dans l’église paroissiale de Saint-Jacques à Paris, il lui échappa de dire qu’il bénissait Dieu de ce qu’il espérait d’être sauvé, bien que son père et son grand-père fussent damnés ; ce qui tira du cardinal Du Perron ce mot pour tout horoscope : « C’est un jeune étourneau qui a mangé de la ciguë, la tête lui tourne. » — On peut voir dans le Journal de d’Ormesson, à la date du 1" janvier 1645, l’analyse d’un sermon prêché ce jour-là en l’église des Jésuites devant la reine par ledit Raconis, et dans lequel Arnauld, clairement désigné sans être nommé, était traité plus que jamais de calviniste:« Le prédicateur dit deux paroles que l’on remarqua, qui pouvoient être tournées en mauvais sens, l’une qu’il ne s’amusoit aux périodes et à l’éloquence, ayant à parler devant une reine qui ne se contentoit de paroles, mais vouloit des choses ; et l’autre, Dilectus meus candidus et rubicundus (mon bien-aimé est blanc et rouge)… » Une allusion au Mazarin ! C’était le bon goût de Raconis.