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LIVRE DEUXIÈME.

donc devenus dans nos querelles beaucoup plus cléments que ces dignes hommes d’autrefois ? Je vois surtout en eux plus de mauvais goût.

Le Père Petau, ce profond auteur de la Doctrine des Temps et des Dogmes théologiques, était peu habitué à se produire en français ; il ne s’y aventurait qu’à son corps défendant, et cela saute aux yeux ; on se retrouve avec lui d’un bon quart de siècle en arrière du français d’Arnauld, « Il seroit marri, dit-il tout d’abord, de le blâmer d’autre faute que d’un erreur d’entendement. » Il montre toutefois que ledit sieur Arnauld use de finesse et baille le change. Puis viennent des comparaisons empruntées à l’alchimie, à la sorcellerie.[1] Ce qui frappe dans cette discussion poudreuse autour de la Fréquente Communion, c’est combien ce livre gagne à la confrontation de tous ces autres styles malsains ou surannés, combien il se détache par sa clarté, par sa rectitude de parole : on comprend véritablement alors le succès.[2] Les Lettres d’Eusèbe à Polémarque, attribuées au Père Lombard, et qui avaient précédé de peu le volume du Père Petau, lettres écrites par un soi-disant évêque à un soi-

  1. Comme il se treuve des corps qui ont quelque malignité cachée, et qui poussent au dehors des qualités nuisibles : et dit-on qu’il est des yeux à double prunelle, dont les regards sont dommageables et ensorcellent ceux qu’ils ont envisagés. Or, qu’il en soit de mesme de ce livre, nous en avons de fortes preuves… » (Liv. I, chap. I.)
  2. Par exemple, pour citer quelques chiffres, quatre éditions furent enlevées en moins de six mois, et suivies, d’année en année, d’une multitude d’autres. La première notamment s’était écoulée en moins de quinze jours, et l’on avait pu commencer par la dernière feuille, dont la forme n’était pas encore rompue, le tirage d’une seconde édition ; celle-ci même fut en vente et affichée à la porte des Jésuites avant que le Père Nouet eût fini ses sermons : ce qui étonna, ajoute malicieusement le doux Lancelot, à qui l’on doit ce détail. Lancelot était très assidu à ces sermons du Père Nouet, et il y prenait des notes.