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LIVRE DEUXIÈME.

Comme conduite parallèle à celle-là, et dans laquelle pourtant on peut croire qu’il entrait un peu plus de tactique humaine, je relève un trait qui m’indique avec précision l’aspect que Port-Royal aurait voulu se donner et garder à l’égard des rois. On l’accusait déjà de leur être au fond médiocrement fidèle ; on s’armait du Mars gallicus de Jansénius, de ce pamphlet tout espagnol, et dirigé contre la prérogative française à propos de la politique de Richelieu. Très au fait du reproche et allant au-devant, Lancelot rend compte en cette façon, à dessein minutieuse, des sentiments ou des témoignages de M. de Saint-Cyran à la mort de Louis XIII :


    monde a vu ces pièces. » — L’honnête réfugié, auteur de la lettre, s’en tient, on le voit, aux Reliques de Saint-Cyran, publiées par les Jésuites ; l’esprit de parti est crédule sur ce qui le flatte. — M. Pascal, continue notre voyageur, s’étoit mieux caché. Mais si vous prenez garde aux preuves dont il se sert pour convaincre les athées, et à ce silence affecté sur les principaux points de la religion romaine, vous conclurez fort aisément qu’il n’étoit pas loin du Royaume de Dieu. Mais voulez-vous savoir quelque chose de particulier sur M. Pascal ? … » Et ici commence une incroyable histoire d’un jeune homme qui devint protestant dans le Languedoc, après avoir été, disait-il, employé par M. Pascal, et qui assura que c’étoit M. Pascal qui avoit pris le soin de l’instruire, que c’étoit de lui que M. Pascal s’étoit servi pour faire tenir à ses amis les Lettres provinciales ; » que M. Pascal était réformé, que tous les Jansénistes étaient dans les mêmes sentiments. Il y a dans cette histoire, d’ailleurs absurde, un ressouvenir confus de celle du fameux Labadie, lequel, après avoir été employé à Port-Royal de Paris en 1643, puis à Amiens, et ensuite à Bazas, fit abjuration dans le Midi et passa depuis de croyance en croyance. Ces fables grossières, colportées par les honnêtes réfugiés Reboulet et Labrune, trahissent du moins l’espèce de rumeur publique, le préjugé qui se formait de loin sur le Jansénisme, et que la calomnie artificieuse des uns accréditait près de la bienveillance peu éclairée des autres. Le pendant de cette histoire est celle de Théodore de Bèze dans la Vie de saint François de Sales par Marsollier ; on y veut montrer, en effet, l’ami et le successeur de Calvin comme un catholique in petto, mais qui n’ose le redevenir. Qui croit l’un de ces contes devra croire l’autre.