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PORT-ROYAL.

sein de l’Église, plus sensiblement que par toutes les réfutations directes. Port-Royal, en un mot, voulait faire comme ces généraux fidèles, ces valeureux Bélisaires, qui, calomniés au-dedans à l’oreille du maître, ne se vengeaient qu’en allant aux frontières gagner des batailles pour lui. Mais nos dévoués quand même avaient affaire à un Sénat de Venise ou à un Comité de Salut public, comme on voudra l’appeler, qui ne leur tint guère compte de leurs services et les mit le plus tôt possible hors d’état d’en rendre de trop prolongés. Quoi qu’il en soit, M. de Saint-Cyran, par cet ouvrage entrepris ou repris dès sa délivrance, traçait d’avance le chemin sur ce point comme sur tant d’autres, et marquait ce qu’il importait à Port-Royal de suivre à chaque période de paix, d’intervalle et de libre haleine.[1]

  1. Certains éloges, certaines adoptions obstinées qu’on faisait d’eux, ne devaient pas être d’un moindre embarras pour les Jansénistes que les accusations les plus acharnées. Les Protestants même, qu’ils combattaient, ne les croyaient adversaires qu’à demi. Dans un Voyage de Suisse par les sieurs Reboulet et Labrune (La Haye, 1686), on lit ce singulier passage (5e lettre, p. 137) : « Vous me demandez des nouvelles du prêtre que les dragons ont converti. Il a passé par ces quartiers… Assurez-vous, Monsieur, que ce n’est pas le seul qui est dégoûté du Papisme en France. Nous pourrions compter des prélats, des personnes d’un rang distingué, des sociétés tout entières qui gémissent dans leur religion, qui écrivent secrètement, mais qui n’ont pas assez d’onction pour suivre leur Sauveur sur le Calvaire. Ce ne sont pas des imaginations ; leurs ouvrages sont connus dans le monde, et bien des gens en ont murmuré. Un fort habile homme que nous voyons quelquefois, et qui sait très bien l’histoire ecclésiastique de ce siècle, nous disoit, il y a quelques jours, qu’il y avoit plus d’un abbé de Saint-Cyran en France ; qu’il y avoit plus d’un M. Pascal. Il avoit raison : ces messieurs étoient réformés, et si Dieu eût béni leurs desseins, nous ne serions pas dans l’état où nous sommes. Pour le premier, personne n’en doute : il ne faut que savoir l’histoire de son procès, et avoir lu les articles de foi qu’il avoit dressés et qu’on trouva dans ses mémoires, et tout le