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PORT-ROYAL.

dessus des affections humaines et de famille, qu’on avait pu douter par moments si elle les ressentait ; mais, à cette heure de la mort de M. de Saint-Cyran, on vit bien que c’était chez elle vertu, puisqu’elle ne marqua pas plus d’émotion que pour ses proches, et qu’elle n’eut dans ce malheur que deux paroles : Dominus in Cœlo ! Dans le Ciel est le Seigneur I

L’enterrement se fit le mardi à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, avec concours d’évêques et d’archevêques qui témoignaient en cela de leur déférence persistante pour l’auteur présumé du Petrus Aurelius. Tout ce qu’il y avait de prélats alors présents à Paris se firent un devoir d’y assister. « Cette vie pleine d’honneur, a dit le président Molé, méritoit bien ce tombeau honorable. » On voit l’effet de la cérémonie attesté par des témoins et écrivains, du reste très peu jansénistes, tels que l’abbé de Marolles en ses Mémoires.[1] Une Altesse même y assista, sans avoir été invitée : c’était madame Marie de Gonzague, future reine de Pologne, et qui était depuis peu en liaison étroite avec la mère Angélique. Elle devait voir M. de Saint-Cyran et était venue en conférer le mercredi même avec la Mère ; mais M. de Saint-Cyran mourut le dimanche. Princesse douce, sensible, d’imagination tendre et naturellement superstitieuse, elle fut induite sans doute à ce retour religieux, à la suite des pensées que la mort de M. de Cinq-Mars, et l’éclat qui s’ensuivit pour elle, durent lui suggérer. Elle prit un

  1. Ce bon abbé de Marolles avait vu cinq ou six fois M. de Saint-Cyran, qui avait même pensé à lui dans une circonstance pour un évêché. Petitot (Notice sur Port-Royal, p. 53) en fait un grief sérieux. Mais, en lisant le détail même dans les Mémoires du bon abbé (à l’année 1632), on trouve que M. de Saint-Cyran le dissuada plutôt par la description qu’il lui fit du péril et de la grandeur de la charge. C’est ce que Petitot, par passion, a dissimulé. Le convaincre ainsi d’altération sur quelques points dispense de le réfuter sur beaucoup d’autres.