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PORT-ROYAL.

semble assez ressortir : M. de Barcos, précisément parce qu’il était l’héritier le plus direct et le plus intime de l’esprit de M. d’Ypres et de M. de Saint-Cyran, et en même temps, si l’on veut, parce qu’il avait la plume un peu fâcheuse, c’est-à-dire qui allait tout au travers aux endroits délicats, en était venu à ne plus pouvoir composer un seul écrit sans donner prise par mille saillies de doctrine ; la pure doctrine janséniste, par son propre développement en lui, touchait sur tous les points aux limites de l’hérésie, ou du moins du schisme, même entre amis : à la moindre explication, cela perçait.

Ces guerres civiles de Port-Royal, hâtons-nous de le dire, entre M. de Barcos et les purs intérieurs d’une part, et MM. Arnauld, Nicole, Hermant, de l’autre, ces guerres qui ne se découvrent à nous que si nous y prêtons de très près l’oreille, furent toutes réglées et tempérées de charité. On pourrait citer à ce sujet de belles lettres d’Arnauld à M. Guillebert sur la mort de M. Singlin, et à M. de Barcos sur la mort de M. Guillebert au temps même de cette plus grande dissidence. Quelques années auparavant, une lettre d’Arnauld à M. de Barcos sur la grande affaire de Sorbonne (décembre 1655), montre quel fonds il faisait sur l’érudition de ce saint abbé ; et on voit, à la réponse de celui-ci sur la condamnation (26 avril 1656), comment le personnage de sainteté et de disgrâce entendait le profit spirituel à tirer pour le Chrétien des injustices du monde. Il dit et redit volontiers du monde au pied du Calvaire : Son fiel m’est savoureux ![1]

  1. Cette lettre, toute de conseil saint-cyranien, est d’un contraste, où l’on pourrait croire qu’il entrait quelque intention, avec les Provinciales qui faisaient feu à cette même époque. Arnauld s’occupait un peu trop alors, en effet, de ce qu’on avait donné les douze Lettres à la Reine de Suède, qui les avait reçues avec joie : « Mais, écrivait-il à son frère l’évêque d’Angers, nous ne savons pas