Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
PORT-ROYAL.

Royal des Champs : le plus jeune, Pierre Thomas Du Fossé, alors âgé de neuf ans, est devenu un des illustres de cette maison et nous a laissé d’intéressants Mémoires. Quand les trois frères arrivèrent à l’école des Champs dès l’été de 1643, ils y trouvèrent pour compagnons le petit Saint-Ange, fils de cette dame amie de M. d’Andilly, et un jeune fils de celui-ci, appelé M. de Villeneuve ; les Bignon avaient déjà terminé. M. de Bascle s’occupa de donner aux enfants l’instruction religieuse, et dans les études ils avaient pour maître un M. de Selles (ou M. Celles) qui était fort habile.

De son côté madame Thomas, leur mère, jeune et belle encore, mais touchée elle-même de l’exemple de son mari, vint à Paris pour voir cet homme de Dieu qui opérait si irrésistiblement. Elle resta durant six semaines logée dans les dehors du monastère, occupant l’appartement destiné à la princesse Marie, et c’était surtout par le canal de la mère Angélique qu’elle communiquait avec M. de Saint-Cyran : car elle avait peine naturellement, nous dit-on, à entendre cet abbé dont le discours était fort concis. Elle retourna bientôt à Rouen, émule de son mari dans la voie nouvelle, et tous deux se résolurent à oser réformer publiquement leur genre de vie ; il leur fallait un vrai courage pour cela et une force tout extraordinaire, considérés comme ils étaient dans la ville, et liés si étroitement avec les personnes les plus distinguées. Ils vendirent leur vaisselle d’argent, se retirèrent des compagnies, ne sortirent plus que pour leurs devoirs de paroissiens : M. Thomas s’apprêta en même temps à se défaire de sa charge.

«Cependant, nous dit leur fils, toute la ville fut fort étonnée d’un tel changement, et chacun l’interpréta en sa manière. Les uns en parlèrent comme d’une chaleur de dévotion qui ne dureroit pas longtemps. D’autres s’en moquoient, comme de l’effet d’un scrupule mal fondé et d’une foiblesse