Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
LIVRE DEUXIÈME.

d’esprit. Quelques-uns connoissant la solidité de l’esprit de celui dont un changement de vie si peu attendu les étonnoit, se disoient les uns aux autres : Attendons pour voir ce que tout cela deviendra. Quelques autres, admirant la grâce et la miséricorde de Dieu envers ses Élus, étoient dans la joie de voir un exemple qui pouvoit beaucoup contribuer, dans la suite, à retirer de la corruption du siècle ceux qui y étoient les plus engagés. Enfin, après avoir essuyé d’abord tout ce qu’ils eurent à souffrir de la part de leurs amis et de leurs ennemis, ils eurent enfin la consolation de se voir au large, et de pouvoir dire comme le Prophète : Viam mandatorum tuorum cucurri cum dilatasti cor meum (J’ai couru la carrière de vos commandements lorsque vous avez élargi mon cœur). » [1]

Cette famille, cette tribu des Thomas Du Fossé, que nous voyons se convertir ainsi en masse et gagner le large à toutes rames, qui fournira deux religieuses à la Communauté et un illustre solitaire, appartenait, comme nous le verrons bientôt des Pascal, comme nous l’avons vu des Arnauld, à cette haute lignée bourgeoise qui constitue le principal fonds où s’est appuyé et recruté Port-Royal. Gentien Thomas, aïeul de l’auteur des Mémoires et maître des Comptes en son temps, s’était signalé par sa fidélité à son souverain au milieu des fureurs de la Ligue, par son intégrité reçue et transmise : il faisait un digne contemporain des Marion et des Arnauld. Port-Royal sans doute (et nous en avons, nous allons en avoir d’éclatants exemples) gagna beaucoup et fit nombre de prosélytes parmi les grands seigneurs même, parmi les personnes de la Cour, les Luines, les Liancourt, les Guemené, les Sablé, les Gonzague, les Longueville, les Roannès ; mais ce ne fut pas là son vrai centre d’opérations. La plupart de ces noms illustres ne se rattachèrent à Port-Royal qu’un temps et ne s’y

  1. Psaume CXVIII, 32. — Mémoires de Du Fossé, liv. I, chap. 3