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PORT-ROYAL.

«Vous êtes curieuse ; vous voulez voir à quoi je m’amuse présentement : je traduis quelque chose de sainte Thérèse.» Je l’en remerciai, lui disant : « J’aime tant cette sainte, que je suis fort aise de voir ce qu’elle a fait, en bons termes ; car jusqu’ici on a mal traduit ses œuvres. » «J’entrai dans le couvent, où je trouvai une Communauté fort nombreuse, et des religieuses d’une mine dévote, naïve, simple et sans aucune façon. Je trouvai que leur église étoit fort dévote. Je me fus promener par tout le couvent, et je regardois tout, croyant ne rien voir dans cette maison de ce que j’ai toujours vu dans les autres ; je la trouvai toute pareille à toutes les abbayes réformées de l’Ordre de saint Bernard. Ces religieuses furent assez étonnées : quand dans leurs cellules, je vis des images de Saints et de Saintes, je me récriai : «Ah ! voilà des Saints et des Saintes !» Elles n’osèrent me questionner.

«En sortant, M. d’Andilly me dit : «Eh bien ! vous avez vu qu’il y a des images des Saints céans ; qu’on les prie et qu’on les révère, que nos sœurs ont des chapelets, et que l’on y voit des reliques.» Je lui dis : «Il est vrai que j’avois ouï dire que l’on ne faisoit pas cas de cela céans, et que je suis bien aise d’en être éclaircie. » M. d’Andilly me dit : «Vous vous en allez à la Cour, vous pourrez rendre témoignage à la Reine de ce que vous avez vu.» Je l’assurai que je le ferois très-volontiers ; et lui m’assura des prières de toute la Communauté et des siennes, et me dit mille belles choses pour m’obliger à être dévote. Enfin, je m’en allai fort satisfaite de ce que j’avois vu et ouï.»

Voilà le monde en personne, le monde de haute qualité qui vient de parler dans tout l’à-peu-près et le pêle-mêle selon lequel il voit les choses et les croit connaître en courant.

Madame de Motteville, bien autrement posée et sérieuse, n’était pas allée à Port-Royal comme Mademoiselle, mais elle en avait mieux jugé du fond de son cabinet. Il y a dans ses Mémoires (à l’année 1647) deux ou trois pages des plus sensées et des plus belles sur ces disputes du Jansénisme, sur l’impuissance et le