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LIVRE DEUXIÈME.

néant de la raison à trancher les mystères, sur l’humilité d’adoration et de silence où il serait juste de se renfermer. Ces pages de la douce et judicieuse femme sont peut-être le plus touchant commentaire du mot inévitable : O Altitudo !

Or, vers la mi-mai de 1660, la Cour étant à Saint-Jean-de-Luz pour le mariage du Roi, madame de Motteville ne se lassait pas d’admirer cette beauté imprévue des Pyrénées qu’elle allait décrire en des termes heureux et neufs où se produit un vif sentiment de la nature. Mademoiselle, à sa manière, et plus confusément, ressentait la même chose. Un jour, se rencontrant à une fenêtre de l’appartement du Cardinal d’où l’on voyait la rivière et les montagnes, madame de Motteville et elle se prirent à se communiquer leurs impressions rêveuses, comme nous dirions aujourd’hui, et à parler de la solitude des déserts. En rentrant chez elle, Mademoiselle écrivit une longue lettre pour y fixer son plan. L’idée du sixième volume de la Clélie, qui avait paru deux ans auparavant, put bien n’y pas être étrangère. L’ancienne visite à Port-Royal y jeta son reflet ; ce volume de sainte Thérèse entr’ouvert sur la table de M. d’Andilly, et publié l’année précédente, a laissé sa trace. En ce désert de fantaisie, en effet, où le mariage doit rester ignoré, où la galanterie veut régner innocente, dans le fond se voyait, à travers la verdure, un monastère de femmes selon sainte Thérèse d’Avila.[1]

  1. « Je voudrois que dans notre Désert il y eût un couvent de Carmélites, et qu’elles n’excédassent pas le nombre que sainte Thérèse marque dans sa règle. Son intention étoit qu’elles fussent ermites, et le séjour des ermites est dans les bois. Leur bâtiment seroit fait sur celui d’Avila qui fut le premier. La vie d’ermite nous empêcheroit d’avoir un commerce trop fréquent avec elles : mais, plus elles seroieat retirées du monde, plus nous aurions de vénération pour elles. Ce seroit dans leur église qu’on iroit prier Dieu. Comme il y auroit d’habiles docteurs dans notre Désert, on ne