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LIVRE DEUXIÈME.

par un soleil baissant, cette procession chantante ou silencieusel Les humbles sœurs, sans se rendre compte comme nous du pittoresque, le sentaient confusément, et plus merveilleux, mêlé à la religion même. La sœur Angélique de Saint-Jean aura parfois de ces songes, et trop forte, elle, pour y attacher du sens, elle aimera à en tirer du moins d’agréables symboles : « Je croyois être à Port-Royal de Paris en un lieu où il y avoit une grande fenêtre qui regardoit dans la galerie d’en bas, et que j’y vis toutes nos Sœurs deParis y marcher processionnellement, tenant toutes des branches de rosier fleuries de roses incarnates les plus belles du monde… » Et elle applique les détails du songe aux circonstances dans lesquelles elle écrit, mais en insistant tout particulièrement sur le bel effet de ces habits blancs, de ce vert et de cet incarnat de roses.

Quelque temps avant ce changement d’habit était morte la mère Geneviève Le Tardif, dont il a été parlé autrefois, la première abbesse élective de Port-Royal : « Je ne sais, écrit encore la sœur Angélique de Saint-Jean,[1] si je dois dire une chose que nous remarquâmes à sa mort… La Communauté étoit présente quand elle expira : on chanta le Subvenite selon la coutume ; mais ce qui nous parut à toutes de si extraordinaire, c’est qu’il nous sembloit que d’autres voix étoient mêlées avec les nôtres, et faisoient une harmonie qui nous parut surnaturelle. Peut-être, s’empresse-t-elle d’ajouter avec sa prudence rare, peut-être y avoit-il de l’imagination : mais toujours il y avoit une grande certitude de foi à croire que les Anges se réjouissoient en recevant cette âme ; et, si l’erreur étoit dans nos sens, la vérité étoit dans notre cœur. » Quelle meilleure et plus humble ex-

  1. Vies intéressantes et édifiantes des Religieuses de Port-Royal (1751), tome II, page 13.